Table des matières

Hydratation en fin de vie : 6 vérités sur la soif et les perfusions

Par • Publié le • Mis à jour le

 
“L'hydratation en fin de vie n'est pas une question de volume perfusé, mais de confort ressenti. Et paradoxalement, moins d'eau peut signifier plus de confort.”
– Dr Robert Twycross, pionnier des soins palliatifs modernes

Pourquoi l'hydratation en fin de vie soulève-t-elle tant d'émotions ?

L'eau est symbole universel de vie. Depuis la nuit des temps, donner à boire à quelqu'un qui a soif représente un geste élémentaire d'humanité, gravé profondément dans notre conscience collective. Les textes religieux de toutes les traditions en font une obligation morale fondamentale. Dans ce contexte, voir un proche ne plus boire, ou pire, comprendre qu'on ne le perfuse pas, peut générer une détresse intense chez les familles.

“Vous le laissez mourir de soif !” : cette accusation, les équipes de soins palliatifs l'entendent régulièrement. Elle exprime une souffrance réelle des proches, qui projettent sur leur parent mourant la sensation insupportable de soif qu'eux-mêmes ressentiraient dans cette situation. Pourtant, les connaissances médicales accumulées depuis quarante ans en soins palliatifs démontrent de manière constante que la réalité physiologique de la fin de vie est radicalement différente de cette projection.

Cet article vise à expliquer, avec toute la délicatesse nécessaire mais aussi toute la précision scientifique requise, pourquoi l'arrêt de l'hydratation en fin de vie ne constitue ni une négligence, ni une maltraitance, ni un abandon, mais au contraire fait partie d'un accompagnement respectueux du processus naturel de la mort.

Les 6 vérités médicales sur l'hydratation en fin de vie

1. La sensation de soif disparaît naturellement en fin de vie

Contrairement à une croyance tenace, les personnes en fin de vie ne souffrent pas de soif. Ce fait, établi par de nombreuses études menées auprès de patients conscients en phase terminale, surprend toujours les familles.

Le mécanisme physiologique est bien documenté. Lorsque le corps cesse de s'alimenter et de s'hydrater, il entre en état de cétose (production de corps cétoniques par le métabolisme des graisses). Ces corps cétoniques traversent la barrière hémato-encéphalique et ont un effet légèrement euphorisant et analgésique naturel. Ce mécanisme ancestral, probablement développé au cours de l'évolution pour permettre aux humains de traverser les périodes de famine, facilite également le passage de la vie à la mort.

Des études observationnelles menées dans des unités de soins palliatifs ont interrogé systématiquement des patients en fin de vie encore capables de communiquer. Les résultats sont constants : la majorité ne ressent pas de soif, et parmi ceux qui rapportent une bouche sèche, le soulagement vient des soins locaux (humidification, glaçons), pas d'une hydratation générale.

Une étude américaine célèbre, publiée dans le JAMA en 1994 par McCann et son équipe, a suivi 32 patients mourants conscients ne recevant pas d'hydratation artificielle. Seulement 3 d'entre eux ont exprimé une sensation de soif, rapidement soulagée par des glaçons. En revanche, 20 patients sur 32 ont rapporté une sensation de bouche sèche, effectivement soulagée par les soins locaux mais pas par l'hydratation intraveineuse.

2. L'hydratation artificielle peut aggraver l'inconfort

C'est probablement l'information la plus contre-intuitive pour les familles : perfuser quelqu'un en fin de vie peut lui causer plus d'inconfort que de bénéfice.

Lorsque les organes ralentissent leur fonctionnement (ce qui définit la fin de vie), les reins filtrent moins efficacement. L'eau perfusée n'est plus éliminée normalement. Elle s'accumule dans les tissus, créant des œdèmes. Les chevilles et les jambes gonflent, certes, mais surtout les poumons peuvent se remplir de liquide (œdème pulmonaire), rendant la respiration difficile et générant une sensation d'étouffement angoissante.

L'excès d'hydratation augmente également les sécrétions bronchiques. C'est ce qu'on appelle “l'encombrement” ou les “râles agoniques” : ces bruits respiratoires impressionnants, très difficiles à entendre pour les familles, qui donnent l'impression que la personne se noie. Paradoxalement, ces râles sont souvent la conséquence d'une hydratation excessive, et leur traitement passe parfois par la réduction, voire l'arrêt des perfusions.

Les œdèmes périphériques (bras, jambes) deviennent douloureux. La peau tendue, fragilisée, peut se fissurer. Les plaies de pression (escarres) apparaissent plus facilement et cicatrisent moins bien sur une peau œdématiée.

Sur le plan digestif, l'excès d'hydratation génère des nausées, des vomissements, une sensation de ballonnement très inconfortable. L'estomac et les intestins, qui fonctionnent au ralenti, ne peuvent gérer cet afflux liquidien.

Enfin, et c'est un point éthiquement délicat, l'hydratation artificielle peut prolonger le processus de fin de vie de quelques jours, mais sans améliorer le confort durant cette période, parfois même en l'aggravant. La question devient alors : voulons-nous quelques jours de plus dans l'inconfort, ou privilégions-nous le confort durant le temps qui reste ?

3. La bouche sèche est le seul véritable inconfort à traiter

Si la soif véritable est rare, la sensation de bouche sèche (xérostomie) est, elle, très fréquente. C'est l'inconfort principal rapporté par les patients en fin de vie encore conscients.

Cette sécheresse buccale a plusieurs causes : la respiration par la bouche (surtout si la personne est alitée), les médicaments (morphiniques, anticholinergiques), la diminution de la production de salive liée au vieillissement et à la maladie. Mais elle n'est PAS soulagée efficacement par l'hydratation intraveineuse ou sous-cutanée.

La solution est locale : des soins de bouche fréquents (toutes les 2-3 heures), méticuleux et doux. Ces soins comprennent : humidification des lèvres avec un baume labial ou du beurre de karité, nettoyage délicat de l'intérieur de la bouche avec une compresse humide, utilisation de bâtonnets de glycérine, proposition de petits glaçons à sucer (si la personne est consciente et peut déglutir), spray d'eau minérale pour brumiser l'intérieur de la bouche.

Ces soins simples apportent un soulagement immédiat et effectif, bien supérieur à celui d'une perfusion. Ils ont également l'avantage de permettre aux familles de participer activement au confort de leur proche : faire les soins de bouche devient un geste de tendresse, un dernier service rendu, une manière concrète de continuer à prendre soin.

4. Toutes les déshydratations ne sont pas équivalentes

Il est crucial de distinguer la déshydratation aiguë réversible de la déshydratation terminale physiologique.

La déshydratation aiguë réversible survient dans un contexte de maladie aiguë surajoutée (gastro-entérite, canicule, infection) chez une personne dont le pronostic vital n'est pas immédiatement engagé. Cette déshydratation cause effectivement des symptômes : soif intense, confusion (déshydratation intracellulaire cérébrale), hypotension, insuffisance rénale aiguë. Elle se corrige par une réhydratation qui améliore spectaculairement l'état du patient.

La déshydratation terminale physiologique est totalement différente. Elle survient dans le contexte d'une maladie évoluée en phase terminale. Elle ne cause pas de soif. Elle ne génère pas de confusion spécifique (la confusion est liée à la maladie sous-jacente, pas à la déshydratation). Elle fait partie du processus naturel du corps qui se prépare à mourir. La corriger n'améliore pas le confort et peut l'aggraver.

Le rôle du médecin est de faire cette distinction cruciale et d'expliquer aux familles dans quelle situation on se trouve. C'est cette distinction qui guide la décision de réhydrater ou non.

5. L'hypodermoclyse : un compromis possible dans certaines situations

L'hypodermoclyse (ou perfusion sous-cutanée) représente une alternative à la perfusion intraveineuse. Elle consiste à injecter lentement du sérum physiologique ou du sérum glucosé sous la peau (généralement au niveau des cuisses, de l'abdomen ou sous les clavicules).

Cette technique, moins invasive que la perfusion intraveineuse, peut constituer un compromis dans certaines situations spécifiques : confusion aiguë potentiellement liée à une déshydratation, et qu'on souhaite traiter pour améliorer le confort ; inconfort subjectif du patient qui exprime clairement une sensation de soif non soulagée par les soins locaux ; difficulté psychologique majeure de la famille qui ne peut accepter l'absence totale d'hydratation.

L'hypodermoclyse présente des avantages : pose plus facile et moins douloureuse qu'une perfusion veineuse, maintien possible à domicile, débit lent et volumes modérés (500 ml à 1 litre par jour maximum) limitant les risques de surcharge.

Mais elle n'est pas dénuée d'inconvénients : œdèmes locaux au point d'injection, risque d'infection, absorption irrégulière surtout si la circulation périphérique est mauvaise. Et surtout, elle reste soumise aux mêmes questionnements éthiques : quel est le bénéfice réel pour le patient ? Ne s'agit-il pas davantage de soulager l'angoisse de l'entourage ?

6. La décision doit être individualisée et réévaluée régulièrement

Il n'existe pas de protocole universel applicable à tous les patients en fin de vie. Chaque situation est unique et nécessite une évaluation médicale soigneuse.

Les critères de décision incluent : le stade d'évolution de la maladie et le pronostic, la présence ou l'absence de symptômes attribuables à la déshydratation, l'état de conscience du patient et sa capacité à exprimer son ressenti, les souhaits du patient s'il peut les exprimer, ou ses directives anticipées, le contexte psychologique et culturel de la famille.

La décision n'est jamais figée. Une réévaluation quotidienne est nécessaire. Si une perfusion a été mise en place et qu'on observe une aggravation de l'encombrement respiratoire ou l'apparition d'œdèmes, elle peut être diminuée ou arrêtée. À l'inverse, si une situation clinique évolue favorablement de manière inattendue, une réhydratation peut être proposée.

Cette réévaluation s'inscrit dans une démarche collégiale associant l'équipe soignante, le patient si possible, et sa famille. La transparence des décisions, leur explication pédagogique et la possibilité de les questionner sont essentielles pour maintenir la confiance.

Comment accompagner les familles dans cette épreuve ?

L'arrêt ou l'absence d'hydratation reste une épreuve psychologique majeure pour les familles, même après les explications médicales les plus claires.

Comprendre et accueillir la détresse des proches

La culpabilité des familles est universelle et prévisible. “On le laisse mourir de soif”, “C'est contre nature”, “Je ne pourrais jamais faire ça à mon chien” : ces phrases expriment une souffrance morale intense qu'il faut accueillir avec empathie, sans jugement.

Cette détresse a plusieurs sources : la projection de sa propre sensation de soif sur le mourant (alors que la physiologie est différente), le sentiment de transgression d'un tabou fondamental (ne pas donner à boire à quelqu'un qui ne peut se servir seul), la peur d'être responsable de la mort (“et si c'était le manque d'eau qui le tue ?”), l'impression d'abandon ou de maltraitance passive.

Le rôle pédagogique des équipes soignantes

Les explications doivent être répétées, à plusieurs reprises, par différents intervenants. Les familles en état de choc n'intègrent pas tout lors de la première conversation. Utiliser des mots simples, des métaphores parlantes : “Le corps est comme un moteur qui ralentit. Il n'a plus besoin du même carburant.”

Montrer concrètement que la personne ne souffre pas : observer son visage détendu, l'absence de grimace de douleur, la respiration paisible (si l'hydratation est bien gérée). Expliquer que si la personne ressentait une soif intense, elle le manifesterait par une agitation, des gémissements, une recherche active de liquide.

Proposer aux familles des gestes concrets de soin : faire les soins de bouche permet de “faire quelque chose” et transforme l'impuissance en action bienveillante. Tenir la main, parler, lire des textes aimés, diffuser une musique apaisante : toutes ces attentions comptent infiniment plus que les millilitres perfusés.

Respecter les différences culturelles et religieuses

Certaines cultures ou convictions religieuses accordent une importance symbolique particulière à l'eau. Dans certaines traditions, donner à boire est un devoir sacré jusqu'au dernier souffle. Ces croyances doivent être respectées.

Des aménagements sont possibles : maintenir une hydratation minime symbolique par hypodermoclyse, permettre les rituels religieux autour de l'eau (bénédiction, quelques gouttes sur les lèvres), expliquer que les soins de bouche constituent une forme d'hydratation respectueuse de la tradition.

Le dialogue interculturel avec les équipes soignantes permet généralement de trouver un équilibre entre les impératifs médicaux de confort et le respect des croyances.

Que dit la loi française sur l'hydratation en fin de vie ?

Le cadre légal français, défini par la loi Claeys-Leonetti de 2016, considère l'hydratation artificielle comme un traitement médical (et non comme un soin de base).

L'hydratation artificielle est un traitement médical

Cette qualification juridique est fondamentale. En tant que traitement, l'hydratation artificielle peut être limitée ou arrêtée si elle constitue une obstination déraisonnable, c'est-à-dire si elle maintient artificiellement la vie sans bénéfice pour le patient ou si elle est source de souffrance.

Cette décision nécessite une procédure collégiale : avis d'au moins deux médecins, consultation de l'équipe soignante, prise en compte des directives anticipées du patient, avis de la personne de confiance ou de la famille. La décision doit être motivée et inscrite au dossier médical.

Les soins de confort restent obligatoires

Même si l'hydratation artificielle est arrêtée, les soins de confort demeurent obligatoires. Cela inclut : les soins de bouche, la lutte contre la douleur, le soulagement de tous les symptômes inconfortables, la présence humaine et l'accompagnement.

L'arrêt de l'hydratation artificielle ne signifie jamais “on ne fait plus rien”. Au contraire, les soins s'intensifient pour garantir le confort maximal dans les derniers moments.

 

Questions fréquentes

Mon proche tire la langue et cherche à boire, n'a-t-il pas soif ?

Geste automatique souvent lié bouche sèche, pas soif véritable. Tester : proposer glaçon ou humidifier bouche. Si apaisement immédiat = sécheresse buccale (soins locaux suffisent). Si agitation persiste malgré soins bouche répétés + recherche active eau = soif possible rare, signaler médecin. Confusion peut mimer soif sans l'être.

Combien de temps peut-on vivre sans perfusion en fin de vie ?

Variable : quelques jours à 2-3 semaines selon maladie sous-jacente. Mais durée survie déterminée par évolution maladie, pas absence perfusion. Études comparatives : pas différence significative survie entre patients perfusés vs non perfusés fin vie. Différence qualité confort : souvent meilleure SANS perfusion (moins œdèmes/encombrement).

Les perfusions ne pourraient-elles pas donner un peu plus de temps ?

Oui techniquement : quelques jours supplémentaires possibles. Mais à quel prix ? Études montrent : jours gagnés souvent marqués par inconfort accru (œdèmes, dyspnée, encombrement), médicalisation excessive, perte dignité. Question éthique fondamentale : voulons-nous quantité vie (jours) ou qualité moments restants ? Famille doit réfléchir : que voudrait vraiment patient ?

Peut-on donner de l'eau par la bouche si la personne ne peut plus avaler ?

Non, risque fausse route (passage eau dans poumons) = pneumonie inhalation potentiellement mortelle et douloureuse. Si troubles déglutition : humidification bouche (compresses, sprays), glaçons fondant lentement, bâtonnets glycérine. Jamais forcer boire personne inconsciente ou troubles déglutition. Test déglutition par orthophoniste si doute capacités.

L'arrêt des perfusions est-il considéré comme euthanasie ?

Non, absolument pas. Distinction juridique/éthique claire : Euthanasie = geste actif provoquant mort (injection létale). Arrêt perfusion = limitation traitement devenu disproportionné, laissant maladie évoluer naturellement. Légal France depuis loi Leonetti 2005, renforcé Claeys-Leonetti 2016. Acte médical responsable, pas euthanasie déguisée. Confusion fréquente source angoisse familles.

 

À retenir : le confort avant l'hydratation systématique

L'hydratation en fin de vie est un sujet complexe qui heurte nos intuitions les plus profondes. Comprendre que notre proche ne souffre pas de soif, que l'absence de perfusion ne constitue ni un abandon ni une maltraitance, demande un effort intellectuel et émotionnel considérable aux familles.

Les données médicales sont pourtant claires et convergentes : en fin de vie, la déshydratation progressive fait partie du processus naturel de la mort et ne génère pas de souffrance lorsqu'elle est accompagnée de soins de bouche attentifs. À l'inverse, l'hydratation artificielle peut aggraver l'inconfort sans apporter de bénéfice réel.

La décision doit toujours être individualisée, réévaluée régulièrement, et prise en concertation étroite entre l'équipe médicale, le patient si possible, et sa famille. L'objectif unique reste le confort du patient, dans le respect de ses volontés et de sa dignité.

Comprendre ces enjeux permet aux familles d'accompagner plus sereinement leur proche dans ses derniers moments, libérées du fardeau d'une culpabilité infondée, et concentrées sur l'essentiel : une présence aimante et des soins attentifs qui parlent d'amour bien plus fort que n'importe quelle perfusion.

Tous nos articles

Références

À propos des auteurs

Dr Eric MAEKER
Dr Eric MAEKER
Médecin Gériatre
Médecin gériatre et psychogériatre, spécialisé en soins palliatifs gériatriques. Fondateur et président de l'association Emp@thies dédiée à l'humanisation des soins. Membre des comités pédagogiques de l'Université Sorbonne. Auteur de publications scientifiques sur l'empathie médicale, les troubles neurocognitifs et la communication thérapeutique. Directeur de plus de vingt mémoires universitaires.

Bérengère MAEKER-POQUET
Bérengère MAEKER-POQUET
Infirmière Diplômée d'État
Infirmière diplômée d'État avec plus de quinze ans d'expérience hospitalière. Co-fondatrice et secrétaire de l'association Emp@thies. Co-auteure de publications scientifiques sur l'empathie médicale, l'annonce diagnostique et les soins centrés sur la personne. Formatrice en soins relationnels et accompagnement humaniste des personnes âgées.

 

Partager sur

Restez en contact