L’empathie dans les soins. Mythe #10 : Penser la question du centre.
Auteurs et références
- Dr MAEKER Eric
- Médecin gériatre et psychogériatre, France.
- Président de l’association Emp@thies, pour l’humanisation des soins. empathies.fr
- MAEKER-POQUET Bérengère
- Infirmière diplômée d’État, France.
- Secrétaire de l’association Emp@thies, pour l’humanisation des soins. empathies.fr
- Correspondance : eric.maeker@gmail.com
- Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.
L’empathie dans les soins. Mythe #10 : Penser la question du centre.
L’approche biomédicale de la médecine place le processus pathologique au centre des préoccupations. Les staffs s’intéressent alors aux résultats des examens cliniques et paracliniques dans le but de trouver les dysfonctionnements organiques ou physico-chimiques responsables de la maladie. Ce paradigme est l’avènement de la médecine basée sur les preuves.
Pour autant, le regard biopsychosocial intègre en son centre plusieurs aspects fondamentaux de ce qui fait qui définit l’humain. Les soins centrés sur la Personne (SCP) apparus dans les années 1990 dans la continuité des travaux de Tom Kitwood (1937-1998) concrétisent cette vision de l’humain. Il est intéressant de mettre en parallèle les SCP avec la théorie de l’approche centrée sur la Personne de Carl Rogers, surtout au regard de la question de la compréhension empathique et de l’autodétermination qu’ensemble ils forgent.
Les méthodes d’éducation aussi peuvent être centrées sur le savoir seul, prodigué par l’enseignant expert, et sur l’humain, dans une recherche d’autonomisation à l’autoapprentissage. Dans ce deuxième cas, ces méthodes sont dites « centrées sur l’étudiant ».
En santé, certains auteurs opposent l’enseignement basé sur une forme de paternalisme et, un autre, alimenté par la compréhension empathique.
Le bon, la brute et le truand.
Dans un commentaire publié, deux auteurs identifient le « Bon, la Brute et le Truand » dans l’enseignement médical [1]. Leur réflexion, puisée dans leur propre expérience d’étudiant puis d’éducateur, guide les lecteurs vers la formation centrée sur l’apprenant qu’ils pratiquent. L’opposition avec un modèle basé sur l’« humiliation » est assez nette dans leur proposition.
The Ugly (le truand)
En parallèle avec le film An officer and a gentleman, 1982, les auteurs questionnent l’usage de « l’intimidation, du harcèlement et des mauvais traitements dans un cadre d’enseignement médical ». Ils relatent les staffs du matin où, jeunes étudiants, ils ont été brimés, « humiliés devant [leurs] pairs à plusieurs reprises ». « Fils, as-tu déjà envisagé de pomper de l’essence ? » était la réplique qui accompagnait chaque erreur de leur part. Sans compter que selon la « théorie de l’autodétermination », le « harcellement », les hurlements et cris, les « mauvais traitements » étaient « acceptés comme la norme à l’époque ». « Un tel cadre est un exemple extrême de motivation contrôlée, incorporant l’humiliation ou le “dénigrement” » au prix de graves troubles émotionnels chez les apprenants, au prix aussi d’une perte de confiance entre les professionnels. « La maltraitance qui en résulte laisse les apprenants dans la crainte des récriminations. Il cimente non seulement la mémoire du point d’apprentissage, qui est l’objectif visé, et aussi la douleur et l’anxiété qui l’accompagnent. »
The Bad (la brute)
Plus loin enfouie dans leur mémoire, ils retrouvent des « mauvais traitements » par leurs pairs plus expérimentés lors d’erreur de retranscription en consultation par exemple. Quelque chose « tournait mal » et le tonnerre embrasait la pièce et l’infirmière (ou le futur médecin) essuyait une tempête à sens unique. Malheureusement, ce comportement participe au curriculum implicite, cette pédagogie, non formelle, qui s’appuie sur l’imitation de modèles de pairs. « Les apprenants ont simplement répété ce qu’ils ont vu ». Les auteurs invitent alors à approfondir la question de ce curriculum caché (hidden curriculum) et à éviter de montrer « l’exemple de comportements contraires à l’éthique lors des tournées », comme « utiliser des commentaires désobligeants pour décrire des personnes qui ne “font pas ce que nous disons” » (ou voulons d’ailleurs).
« Connaître et utiliser un langage approprié et respectueux lorsque nous discutons de la réalité de la vie des [personnes que nous soignons] peut être difficile. C’est un comportement que nous devons adopter ».
The Good (le bon)
Lors de la transition d’étudiants à éducateurs, ils ont complètement abandonné ce modèle et, d’après eux, enseigner « est devenu une joie ». Ils se sont efforcés « d’employer une approche centrée sur l’apprenant et soutenant l’autonomie ». Ils relatent « tenir compte du point de vue des élèves, fournir des informations pertinentes et des possibilités de choix, et encouragent les étudiants à assumer davantage la responsabilité de leur propre apprentissage et de leur comportement. » La motivation et l’accompagnement dans l’acquisition de pratiques adaptées sont favorisés par la supervision et la définition d’objectifs concrets et réalistes. Il leur apparaît fondamental d’assurer l’enseignement dans « la sécurité émotionnelle et physique de chacun ».
Dans leur conclusion, ils invitent leurs pairs « à les rejoindre dans leur engagement à mettre fin à l’humiliation en tant qu’outil pédagogique ».
Les interventions pour l’empathie et l’apprentissage centré sur l’étudiant
En plus d’être une source quasi autobiographique des auteurs, cet article rapporte de nombreuses études. Durant les dernières années, l’étude du harcèlement et de la discrimination des étudiants [2], la définition et le rôle du curriculum implicite [3] ont très sûrement contribué à renforcer la connaissance et la mise en œuvre de l’enseignement centré sur l’apprenant (learner-centered teaching) [4,5,6,7,8,9,10,11].
La place de l’empathie est soulignée par une méta-analyse où les auteurs ont identifié, dans 35 publications issues de 18 pays différents, quatre thèmes principaux concernant l’empathie [12]. Ils évoquent le rôle du curriculum implicite et des superviseurs dans l’enseignement de l’empathie dite clinique.
Ainsi, en plus de se concentrer sur le contenu des formations, il importe d’assurer une cohérence avec les attitudes et les comportements des superviseurs. Sachant que ces derniers ont peut-être connu comme seul modèle celui de l’humiliation, celui qui, probablement, participe à l’érosion des scores d’autoévaluation de l’empathie des étudiants au cours de leurs études [13].
La dernière séance
Si l’article porte dans son titre : « le bon, la brute et le truand », c’est sûrement pour lui donner un sens caché. Peut-être celui de cette réplique : « Tu vois, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. »
Ou alors c’est parce qu’il invite à visionner d’autres films, tels que Full Metal Jacket de Stanley Kubrick, 1987, ou Maître de Guerre de et avec Clint Eastwood, 1986. Avant de se plonger dans l’antithèse avec Docteur Patch de Tom Shadyac, 1998.
Et vous, comment avez-vous vécu vos études de santé ?
Références