L’empathie dans les soins. Mythe #11. Le vivre pour y croire ?

L’empathie dans les soins. Mythe #11. Le vivre pour y croire ?

« La vie est difficile » comme le souligne Scott Peck [1]. L’empathie aussi.

D’après l’analyse des avancées scientifiques, l’empathie illustre parfaitement la complexité du vivant. Elle apparaît d’instinct comme une évidence, un prolongement de soi, un savoir inné. Sous cette forme, l’empathie est bénéfique dans les soins.

L’intuition qui en relève rend compréhensible la complexité, sans analyse préalable pleine et entière des phénomènes. C’est en cela que la nature du vivant nous trompe parfois. Elle simplifie et met à portée de main des concepts pourtant d’une grande subtilité. Comme face à la forêt, que voit l’œil qui s’y plonge ? Perçoit-il la profondeur de cet écosystème ? [2]

C’est grâce à la curiosité et le doute que vient le désir de savoir, et celui-ci prime sur la connaissance elle-même. À la fois concept indépendant et partie prenante d’un système vivant [3], l’empathie pousse à la curiosité. Curiosité pour elle-même, pour soi-même et pour autrui. En cela, l’empathie appelle à l’éveil à la complexité du vivant.

Pour accompagner la découverte de ce concept transdisciplinaire, les dix articles de cette première saison présentent différents thèmes résumés ci-dessous.

La première remarque à formuler intéresse le manque d’une définition consensuelle de l’empathie et encore plus de son versant clinique. L’empathie clinique regroupe les attitudes et comportements mis en œuvre dans un contexte de soin pour favoriser un ressenti empathique chez les personnes soignées. Ce hiatus en alimente un second, lié aux outils de mesure de l’empathie clinique. En effet, ceux-ci dérivent de concepts parfois divergents. Ils s’appuient, pour l’essentiel, sur une auto-évaluation, ce qui interpelle sur la nature de leurs observations. Est-ce la volonté empathique, le souhait d’être perçu comme empathique, des attitudes et des comportements effectifs ou une maîtrise empathique que ces tests tentent d’objectiver ? En troisième lieu, des désaccords persistent sur les composants de l’empathie. Il est ainsi encore incertain que les constituants les plus reconnus fassent consensus : l’affectif (le partage émotionnel) et le cognitif (la prise de perspective). En effet, certains auteurs plaident pour une empathie clinique exclusivement cognitive. Or diviser raison et sentiments rappelle la réflexion sur les modèles de la médecine : la biomédecine et l’approche biopsychosociale. La biomédecine s’attache plus volontiers à l’étude des maladies, de leurs mécanismes pathologiques, etc., et tend à réifier l’humain. Son fonctionnement clinique a longtemps reposé sur l’expertise, les attitudes paternalistes et sur le détachement professionnel. De son côté, l’approche holistique se base sur l’humain. Elle suggère un regard plus humaniste où le soignant apporte son savoir, son savoir-faire et son savoir-être au bénéfice de la personne soignée avec l’intention de lui garantir son autonomie grâce à la décision partagée. Ainsi, la compréhension des processus pathologiques s’élargit. La distinction entre la maladie elle-même, la façon dont elle est vécue à titre individuel et ses répercussions sociales (Disease, Illness, Sickness) se complètent dans une compréhension globale. L’empathie tient alors une place centrale malgré deux incertitudes. La première concerne sa composante motivationnelle, le souci de l’autre ; la seconde, l’insondable présence empathique.

La deuxième remarque s’appuie sur l’évolution des aptitudes empathiques. D’après plusieurs études, les scores d’empathie autodéclarés des étudiants en santé tendent à diminuer à mesure de l’avancée dans le cursus. Ce à quoi s’ajoute l’épuisement professionnel qui amenuise les aptitudes empathiques des soignants. De même, certains biais participent à une forme d’évaporation empathique. Par exemple, l’appartenance à un même groupe social donne plus d’aisance à faire preuve d’empathie. À l’inverse, la peur de l’autre, de sa souffrance, ou les jugements des soignants au sujet du soigné affaiblissent l’engagement empathique. Ce qui suggère que les plus puissants freins à l’empathie sont l’âgisme, la ségrégation et l’ostracisation. Enfin, le manque de sollicitation de « l’intelligence émotionnelle » dès le plus jeune âge érige un barrage à l’acquisition d’une compréhension empathique efficiente. Ainsi, mis en parallèle avec les demandes répétées des soignés à bénéficier d’un accompagnement empathique, ces constats soulèvent des questions essentielles. L’empathie clinique peut-elle se cultiver ? S’enseigner ? Et si oui, comment ?

Enfin, la troisième remarque concerne la mise en œuvre de l’empathie clinique. En effet, celle-ci est souvent centrée sur la communication soignant-soigné, domaine dans lequel d’importantes avancées ont été réalisées dans l’enseignement en santé. Cela dit, se limiter à reproduire une technique expose au risque de plonger dans « la vallée de l’étrange » (voir l’épisode 05 dans le numéro 198 du mois d’octobre 2021). De plus, si les recherches s’appuient sur des dyades (entre deux protagonistes donc), l’exercice de la gériatrie, lui, se confronte aux triades avec l’aidant et aux entretiens avec des familles entières. En outre, les soins centrés sur la personne supportent la mise en œuvre effective de l’empathie clinique et font émerger son aspect systémique. Cette question du « centre » est fondamentale et s’applique aussi à l’enseignement en santé qui peut alors être centré sur l’étudiant. In fine, la société peut s’interroger sur le coût économique que représenterait une pratique empathique en santé, même si cela se heurte aux valeurs de la dignité humaine.

Pour conclure, d’autres questions sont restées en suspens : la place du dossier médical informatisé, des objets empathiques, de l’intelligence artificielle, des familles, de l’éthique, etc.

Platon offre le parfait final de cette première saison. « Le plus habile médecin serait celui, qui après avoir appris de bonne heure les principes de son art, aurait fait connaissance avec le plus grand nombre de corps et les plus mal constitués, et qui lui-même d’une santé naturellement mauvaise, aurait eu toutes sortes de maladies ».

Qu’en est-il de l’expérience vécue par les soignants comme moteur empathique ? Par exemple lorsqu’ils se retrouvent eux-mêmes le sujet des soins. Dans ce retour d’expérience, une jeune interne partage son vécu en la matière [4]. Qu’en pensez-vous ?

Après ces considérations générales sur la complexité de l’empathie clinique, nous proposons une analyse pratique de la communication empathique dans un contexte de soin (plutôt gériatrique). La saison 2 sera divisée en courts épisodes qui se complèteront l’un l’autre à mesure de leur publication.

[1] Peck S. Le chemin le moins fréquenté. Apprendre à vivre avec la vie. J’ai lu, 2004. ISBN : 2290342548.
[2] Wohlleben P. La Vie secrète des arbres. Les Arènes, 2017. ISBN : 978-2352045939.
[3] Maeker É, Maeker-Poquet B. Le temps est-il un obstacle à l’empathie clinique ? Une approche procédurale et systémique de l’empathie en gériatrie et psychogériatrie. Neurologie Psychiatrie Gériatrie (NPG) 2022. doi: 10.1016/j.npg.2022.02.001.
[4] Rabinowitz Steele NZ. The patient resident. N Engl J Med 2022 ; 386(11) : 1010-1.