L’esprit intuitif est un don sacré et l’esprit rationnel est un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le cadeau.
Albert Einstein.
Mots-clés : Émotions, Empathie, Humanisme, Relation soignant-soigné, Éthique.
La définition de l’empathie est encore discutée. Philosophes, scientifiques, médecins, psychologues et soignants poursuivent la construction du concept depuis le XIXe siècle. En simplifiant (à outrance), il dérive de la réflexion philosophique sur l’esthétisme. Dans cette traversée du concept dans l’art, la philosophie se désolidarise d’une vision émergente qui étudie l’empathie comme la capacité d’« être autrui ». Pour une majorité d’auteurs, il est impossible de vivre la vie d’une autre personne, de la comprendre totalement. S’il est irréaliste de considérer être autrui, les neuro-scientifiques, eux, observent les animaux, les liens de l’attachement mère-enfant, les mécanismes cérébraux à l’œuvre. Ils dosent les hormones, expérimentent, permettant une lisibilité organique inédite et un nombre exponentiel de publications depuis les années 2000. Les psychologues quant à eux, théorisent par diverses approches, dont la phénoménologie (l’étude de ce qui est vécu), la « compréhension empathique » puis l’empathie elle-même. Enfin, au cours de ces dernières décennies, des techniques relationnelles se font jour et le monde médical se les approprie, non sans une certaine réticence psychanalytique.
Dans ce tourbillon de science, le concept perd en clarté et se télescope avec diverses notions : empathie, sympathie, compassion, transfert, miséricorde… De plus, le sens commun continue d’en occulter la quintessence. Et finalement, son usage dans la publicité le rend évanescent. Cette hybridation est désolante et fait perdre de vue la valeur fondamentale qu’est l’empathie pour les soins et les soignants, encore plus lorsqu’elle magnifie leur seule présence.
USA, New York, 2013, Bill et Shannon appellent Richard, qui est médecin d’orientation palliative à cette époque. « Brett est décédé le lendemain de son retour à la maison ».
Richard relate ce vendredi après-midi où il a rencontré pour la dernière fois Bill et Shannon. Brett, leur fils âgé de 28 ans, était en état végétatif chronique après un arrêt cardiaque. Ses séquelles cérébrales post-anoxiques étaient sévères et irréversibles. Son obésité avait complexifié la réanimation. Depuis il était, trachéotomisé et nourri par sonde, sous la responsabilité médicale de Richard. Malgré les complications en cascade, Bill et Shannon, ses parents, avaient toujours souhaité privilégier les soins curatifs prolongeant la vie. Ce vendredi, comme toutes les semaines, est une invitation à la revue des objectifs de prise en charge.
Chacun s’attendrait à entendre épiloguer le médecin. Au lieu de cela, Richard, l’assistante sociale et les parents de Brett s’assoient. En silence. Dans la pièce d’accueil des familles. Shannon semble remarquer que Brett réagit à sa voix. « Peut-être un miracle » chuchote-t-elle à Bill. Lui est dans la cinquantaine et peu bavard : « nous avons déjà vu ça ».
En dépit des objectifs médicaux de la rencontre, Richard et l’assistante sociale maintiennent leur silence sublimant leur disponibilité bienveillante. Shannon exprime tour à tour sa culpabilité, ses regrets, ses espoirs et ses souvenirs de la chambre de Brett remplie de gadgets. Bill, lui, se contente de rappeler que Brett « n’a pas vu sa chambre depuis un moment ». Une longue pause muette s’installe. Lourde et libératrice, elle laisse la place aux mots d’une mère : « Brett adorerait rentrer à la maison, je pense ». Bill concrétise : « ramenons-le à la maison après le week-end, je vais nettoyer sa chambre ». Le constat de Shannon vient entériner la décision : « il n’aurait pas voulu vivre comme ça ». Alors tous se sont rendus au chevet de Brett, en silence, « dans son monde sans paroles » et l’ont veillé. Et dans ce monde où le silence règne comme ultime parole, Brett est rentré chez lui.
Si les neuro-scientifiques établissent avec une précision grandissante les composantes de l’empathie (cognitive, affective, motivationnelle) et les aires cérébrales qu’elles mobilisent, la phénoménologie apporte d’autres éléments de compréhension. Carl Rogers, psychologue américain, a consacré sa carrière universitaire à l’approche centrée sur la personne (ACP), une psychothérapie humaniste. Selon ses recherches, six conditions sont suffisantes et nécessaires pour accompagner le changement thérapeutique ou le développement de la personne. Parmi elles, trois sont remarquables : la congruence, l’acceptation positive inconditionnelle et la compréhension empathique [1].
La congruence aussi appelée authenticité ou cohérence interne représente la capacité du soignant à apprécier son propre vécu et à être en accord avec celui-ci. Elle se rapporte à son aptitude à identifier ses ressentis à chaque instant.
L’acceptation positive inconditionnelle (de la personne soignée et de son vécu) est le pivot du sentiment de sécurité et de liberté d’exploration. Elle permet à qui l’expérimente de se sentir acceptée, telle qu’il est, avec ses pensées et ressentis singuliers. Elle diffère du « laisser-aller », du « laisser-faire » ou d’une forme d’« anarchie de la relation ». Non. Il est question d’accepter le rythme de la personne soignée, ce qu’elle dit et expérimente sans la soumettre à des conditions (récompense ou punition par exemple).
La compréhension empathique permet au soignant de « comprendre ou de percevoir, comme si » il était la personne soignée. Le « comme si » est un gage de sécurité pour l’un comme pour l’autre, car cette condition les protège d’une identification délétère. Cette compréhension empathique mobilise l’affect et le cognitif et permet d’appréhender avec le plus de justesse possible le vécu interne d’une personne : ce qu’elle expérimente à l’instant de la rencontre.
Selon ses premières publications, Rogers définit l’empathie comme un état dépendant des attitudes du thérapeute. Au fil du temps, sa compréhension a été réduite, de façon erronée, par certains auteurs, au simple « reflet des émotions ». Il déplore en fin de carrière que l’empathie soit l’élément le moins bien apprécié de son approche et propose de l’envisager comme un processus (une suite d’événements dont il est possible d’extraire une certaine logique) plutôt qu’un état [2]. Ce changement est capital et reste insuffisamment étudié dans la théorie de l’ACP.
Plus étonnant, à la même période, Rogers évoque la notion de « présence du thérapeute » et propose de l’inclure au sein des dimensions fondamentales de l’ACP. « Lorsque je suis le plus proche de mon moi intime et intuitif, lorsque je touche à l’inconnu en moi, lorsque peut-être je vis la relation dans un état de conscience légèrement altéré, alors tous mes actes ont un effet salutaire, alors ma simple présence est libératrice et utile ». Il n’aura pas le temps d’étudier cette « mystérieuse alchimie » [3], l’alchimie d’un flocon de neige [4].
Richard, Shannon, Bill, Brett et l’assistante sociale l’ont expérimenté, car, d’après Richard, ce qui compta le plus dans leur accompagnement, ce vendredi précis, fut leur « présence empathique », silencieuse. Dans cet espace sans lieu, dans ce temps sans durée où a mûri l’humanité, la revue du passé, l’expérience du présent et la vision d’un avenir ont « recréé le sens sacré de la vie » [5].
Snowflake
Kate Bush, 2011
I was born in a cloud…
Now I am falling.
I want you to catch me.
Look up and you’ll see me.
You know you can hear me.
The world is so loud. Keep falling. I’ll find you.
We’re over a forest.
There’s millions of snowflakes.
We’re dancing.
The world is so loud. Keep falling and I’ll find you.
I am ice and dust. I am sky.
I can see horses wading through snowdrifts.
My broken hearts, my fabulous dances.
My fleeting song, fleeting.
The world is so loud. Keep falling. I’ll find you.
My broken hearts, my fabulous dance.
My fleeting song.
My twist and shout.
I am ice and dust and light. I am sky and here.
I can hear people.
I think you are near me now.
The world is so loud. Keep falling. I’ll find you.
We’re over a forest.
It’s midnight at Christmas.
The world is so loud. Keep falling. I’ll find you.
I think I can see you.
There’s your long, white neck.
The world is so loud. Keep falling. I’ll find you.
Now I am falling.
Look up and you’ll see me.
The world is so loud. Keep falling. I’ll find you.
In a moment or two.
I’ll be with you.
The world is so loud. Keep falling. I’ll find you.
Be ready to catch me
The world is so loud. Keep falling. I’ll find you.
Je suis né dans un nuage…
Maintenant je tombe.
Je veux que tu m’attrapes.
Lèves les yeux et tu me verras.
Tu sais que tu peux m’entendre.
Le monde est si bruyant. Continue de tomber. Je te trouverai.
Nous sommes au-dessus d’une forêt.
Il y a des millions de flocons de neige.
Nous dansons.
Le monde est si bruyant. Continue à tomber et je te trouverai.
Je suis la glace et la poussière. Je suis atmosphérique.
Je peux voir des chevaux patauger dans les congères.
Mes cœurs brisés, mes fabuleuses danses.
Ma chanson éphémère, éphémère.
Le monde est si bruyant. Continue de tomber. Je te trouverai.
Mes cœurs brisés, ma fabuleuse danse.
Ma chanson éphémère.
Mon « twist and shout ».
Je suis la glace, la poussière et la lumière. Je suis atmosphérique et ici.
Je peux entendre les gens.
Je pense que tu es près de moi maintenant.
Le monde est si bruyant. Continue de tomber. Je te trouverai.
Nous sommes au-dessus d’une forêt.
Il est minuit, c’est Noël.
Le monde est si bruyant. Continue de tomber. Je te trouverai.
Je pense que je peux te voir.
Voilà ton long cou blanc.
Le monde est si bruyant. Continue de tomber. Je te trouverai.
Maintenant je tombe.
Lève les yeux et tu me verras.
Le monde est si bruyant. Continue de tomber. Je te trouverai.
Dans un instant ou deux.
Je serai avec toi.
Le monde est si bruyant. Continue de tomber. Je te trouverai.
Apprête-toi à m’attraper
Le monde est si bruyant. Continue de tomber. Je te trouverai.