Précis pratique de communication empathique dans les soins. #01. Définitions et premiers questionnements #
Par Dr Éric Maeker, Bérengère Maeker-Poquet • Publié le • Mis à jour le
Mots-clés #
Communication, Empathie, Émotions, Enseignement, Humanisme, Relation soignant-soigné, Éthique.
Introduction #
Les réflexions sur la communication dans les soins sont très anciennes puisqu’elles renvoient aux racines de la médecine hippocratique. Pendant plusieurs décennies, la communication dans les soins a impliqué une asymétrie nourrie entre deux protagonistes. Le soignant était le seul « sachant », celui qui décide et le soigné était perçu comme passif, silencieux et obéissant aux injonctions qui lui étaient formulées. Il devenait alors un objet de l’activité de soin sans être lui-même autonome dans ses choix. Cette dichotomie a entretenu une forme de paternalisme, réputée aujourd’hui nocive pour le soin. Car, en effet, depuis les années 1970 avec l’apparition du modèle biopsychosocial en médecine [1], les paradigmes ont changé. Cette approche a permis de mieux implanter la notion d’humanité dans les soins et surtout de réduire cette asymétrie construite entre les soignants et les soignés. Dans ce contexte si singulier qu’est l’accompagnement du soin, définir ce qu’est la communication constitue un axe essentiel.
Par ailleurs, différentes académies de médecine de par le monde établissent l’empathie comme un des fondements de la relation soignant-soigné alors même qu’elle est un concept assez récent. Le mot lui-même est un néologisme du XIXe siècle. Il est construit du préfixe em et du suffixe pathos. Il pourrait se traduire par « ressentir en soi le vécu interne d’autrui ». Son intégration dans les soins est fondamentale. Aussi, en termes de communication, existe-t-il une forme empathique de celle-ci ? Comment pourrait-elle être déterminée ?
Qu’est-ce que communiquer ? #
La science de la communication est transdisciplinaire, de la rhétorique à la cybernétique. Elle s’imbrique dans de nombreux paradigmes. Budd et Ruben dans leur anthologie de la théorie de la communication, publié en 1972, explorent 24 approches disciplinaires distinctes [2].
Dans le soin, elle peut être regardée de plusieurs façons. La première croise le regard pragmatique avec celui de la systémique. La pragmatique s’intéresse à l’analyse des comportements que la communication induit. La systémique étudie les liens qui se développent entre les intervenants. La seconde est individuelle et procédurale. Elle cherche à définir les facteurs dépendants à chacun des intervenants et le processus d’une communication efficiente. La troisième est phénoménologique. Elle s’appuie sur le vécu lié à la communication. Enfin, les deux dernières sont psychosociale (non détaillée dans le présent manuscrit) et éthique. Cet ensemble de perspectives permet d’établir un certain niveau de compréhension de ce qu’est la communication.
Pour avancer, il est intéressant, à défaut de définir ce qu’est communiquer, de s’interroger sur son contraire. Est-il possible de ne pas communiquer ? Cette question place la communication aux racines de la vie, par exemple en se plaçant à un niveau cellulaire ou de celui des écosystèmes. Sur la base des analyses pragmatiques et systémiques, Paul Watzlawick établit 5 axiomes [3]. Un, il est impossible de ne pas communiquer. Deux, toute communication présente un contenu et une relation, les deux étant interconnectés. Trois, la nature d’une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication entre les partenaires. Quatre, la communication humaine utilise simultanément deux modes : digital (oui/non) et analogique (verbal/non verbal). Cinq, la communication est soit symétrique (basée sur l’égalité), soit complémentaire (basée sur la différence).
Dans le contexte de soins apportés aux personnes âgées avec troubles neurocognitifs, les théories de la communication partagent plusieurs points communs malgré des paradigmes différents. Bien qu’il soit rapporté un manque de consensus sur la définition et les modalités d’évaluation de la communication dans les soins [4], l’approche multidimensionnelle semble la plus pertinente dans ce contexte. Ainsi, il est préférable de l’aborder comme un processus interpersonnel dépendant de facteurs individuels en complément des approches pragmatiques et systémiques [5].
L’approche phénoménologique sera présentée après avoir rappelé le contexte éthique de la relation de soin. En effet, il est intéressant de questionner la place du secret dans la relation, et plus largement d’une éthique humaniste. Le secret est un principe inhérent à l’éthique de la communication dans les soins, tout comme la non-malfaisance, la bienfaisance, le respect de l’autonomie et le principe de justice. Seulement, la prise en charge holistique au sein d’un établissement rend poreuse ou, tout au moins, globalise cette confidentialité afin d’informer les membres de l’équipe. Ce partage d’information est d’ailleurs légalement encadré en France [6]. Il convient aussi d’être attentif au fait que cette information partagée touche parfois aux profondeurs du sens que les personnes donnent à leur existence [7].
Pour la pratique
| La communication dans les soins est une compétence majeure qui mérite d’être entretenue et développée par les professionnels. | • Vous sentez-vous à l’aise pour communiquer avec les personnes que vous soignez ? • Connaissez-vous les facteurs modulateurs d’une communication efficiente dépendants à la fois des intervenants et de leur relation ? • Participez-vous à des sessions de formation en communication pour soignants ? À des groupes de pairs ? |
| Bien qu’il manque une définition scientifique consensuelle dans le contexte du soin, il est possible d’évaluer plusieurs formes de communication interpersonnelle : verbale / non verbale, implicite / explicite, partielle / complète. | • Avez-vous remarqué qu’un regard en dit parfois plus long que mille mots ? • Avez-vous observé que les expressions du visage, la posture, le ton de la voix, les mouvements du corps expriment autant de sens que les mots (si ce n’est plus) ? • Parlez-vous exactement de la même chose ? Utilisez-vous : « que signifie pour vous… » « quand vous dîtes … entendez-vous … ? » |
| « En musique, le silence est plus important que le son » disait Milles Davis. Le silence, dans la communication, participe à la genèse du sens de l’information. Ce silence donne l’occasion de l’écoute et laisse aussi de la place à l’introspection, à la réflexion, à la quête de sens de ce qui est échangé. De fait, même en silence, il est impossible de ne pas communiquer. | • Que se passe-t-il dans la relation soignant-soigné pendant un instant silencieux ? • Avez-vous remarqué la valeur du silence dans vos entretiens ? • Au bout de combien de temps, en début de consultation, prenez-vous la parole pour questionner sur des aspects médicaux (signes cliniques, etc.) ? Ce temps est-il suffisant pour que la personne puisse exposer ses difficultés de façon pleine et entière ? • Si tout est communication, les troubles du comportement peuvent-ils constituer un mode de communication ? Comme le cri ou l’apathie extrême par exemple ? |
Qu’est-ce que la communication empathique ? #
Dans les soins gériatriques, il manque une définition consensuelle de la communication empathique [4]. Une tentative de formulation pourrait s’amorcer en partant de son objectif principal : celui de faire naître le sentiment, chez la personne soignée, d’une compréhension basée sur son vécu, ses émotions et ses besoins de la part du soignant tout en respectant l’identité individuelle et les principes éthiques présentés ci-dessus. Ainsi, elle mettrait en action des compétences et des comportements concrets témoignant d’une volonté empathique observable dans le cadre du soin. À ce titre, elle représenterait un juste équilibre entre psychothérapie et accompagnement empathique du soin. En gériatrie, il serait important d’intégrer à cette réflexion un contexte spécifique : les environnements familiaux, amicaux et institutionnels, ainsi que les pathologies liées au vieillissement et leurs complications. Les limites de cette définition se trouvent dans une forme de tautologie autant que dans la difficulté majeure à opérationnaliser l’empathie clinique comme la communication empathique. C’est-à-dire qu’il est délicat de définir la communication empathique par l’empathie clinique elle-même comme il est encore incertain qu’il soit possible de mesurer et d’objectiver la nature empathique d’un modèle de communication en particulier faute d’une définition précise. Le chien qui se mord la queue.
L’approche centrée sur la personne (ACP) théorisée par Carl Rogers, psychologue humaniste américain, est l’une des premières à intégrer la compréhension empathique dans le champ de la psychothérapie et de la relation d’aide. C’est Marlis Pörtner qui intégrera l’ACP au champ de la gériatrie [8]. L’ACP fait appel à 4 attitudes du thérapeute déduites d’une étude phénoménologique des interactions : l’authenticité ou la congruence, la compréhension empathique, le regard positif inconditionnel et, ajoutera-t-il en fin de carrière, la « présence » du professionnel [9,10]. D’après lui, la compréhension empathique se rapporte au « système de référence propre au client et à la volonté de lui faire partager cette compréhension » [11]. La justesse de cette compréhension s’évalue grâce à des questionnaires spécifiques, des listes comparatives client/thérapeute des sentiments partagés lors de la rencontre ou par l’analyse d’un juge extérieur.
Plus récemment, l’empathic communication coding system (ECCS) propose une hiérarchie de 7 catégories pour codifier les réponses empathiques [12,13]. Le niveau 0 correspond à une réaction non empathique alors que le niveau 6 indique un partage empathique maximal (voir tableau 1). Certains auteurs ont révisé cet outil en 4 catégories : la reconnaissance, la réflexion, la validation et le partage d’expérience [14] (voir tableau 2). Il n’est toutefois pas sûr que le partage d’expérience soit bien approprié en pratique clinique [15] ou dans le cadre d’une psychothérapie [16,17].
Un complément d’analyse porte sur les opportunités empathiques exprimées (par exemple « me savoir malade me met en colère »). Elles sont des expressions émotionnelles ou des fragments plus ou moins précis du vécu interne de la personne soignée. Il peut s’agir d’éléments verbaux comme non verbaux, implicites ou explicites, conscients ou non. Elles peuvent véhiculer une information partielle ou complète [13,18] et permettent malgré tout d’établir un processus ou une ambiance favorable à un échange empathique.
Si ces opportunités sont connues en psychothérapie et en médecine générale, il serait pertinent de mieux les définir dans un contexte d’exercice en gériatrie. En effet, elles pourraient se présenter comme des troubles du comportement : les cris, l’agitation liée à une douleur, l’opposition aux soins, etc. Il est intéressant de noter que certains auteurs évoquent la possibilité de réponses regroupées, un peu comme si le soignant prenait les opportunités « en lasso ». En gériatrie et psychogériatrie, l’image du vase qui se remplit puis déborde serait peut-être plus adaptée [19].
Pour la pratique
| La définition d’une communication empathique manque de consensus en science. Pour autant, elle s’appuie sur les aptitudes empathiques des soignants. | • Seriez-vous en mesure de caractériser l’empathie dans les soins ? Les aptitudes empathiques ? Les comportements empathiques ? • Pensez-vous que le mode de communication, qu’il soit verbal ou non verbal, puisse soutenir la volonté empathique des soignants ? Si oui, dans quelles mesures ? • Au contraire, des attitudes antinomiques avec l’empathie clinique pourraient-elles être la source de troubles du comportement en gériatrie ? |
| Les composantes de la communication renforcent l’engagement empathique des soignants. Leur analyse fait apparaître plusieurs niveaux de compréhension empathique. | • Comment établiriez-vous une compréhension empathique avec les personnes que vous soignez ou accompagnez ? • Quels sont les éléments qui font que les gens se sentent compris ? Sur quoi se base ce sentiment ? • « Refléter les émotions » a longtemps constitué une racine de la communication empathique. Comment feriez-vous pour renvoyer l’émotion d’autrui sans être intrusif ? |
| La compréhension empathique implique diverses connaissances : de soi, d’autrui, de la relation et du contexte de celle-ci. Elle nécessite aussi la reconnaissance des opportunités empathiques. | • Pourriez-vous saisir le vécu interne d’autrui avec empathie sans connaître son histoire de vie ? Voire même sans être au fait du sens qu’il donne à son existence ? • Comment pourriez-vous intégrer les maladies dont sont atteintes les personnes soignées dans votre mode de communication ? • Êtes-vous à l’aise avec tout type de contenu ? • Sauriez-vous définir et repérer les opportunités empathiques ? Pensez-vous qu’elles attendent toutes une réponse ? |
Conclusion #
La communication et les capacités empathiques sont des compétences fondamentales qui conditionnent la qualité des soins prodigués à court comme à long terme. Malgré cette position centrale dans l’exercice du soin, ces deux compétences manquent d’une définition claire et consensuelle. Fort heureusement, les analyses pragmatique, phénoménologique, systémique et procédurale, établissent une compréhension de la communication dite empathique. En gériatrie, des recherches visant à mieux identifier ces deux principes sont nécessaires avec un focus spécifique en psychogériatrie.
L’ensemble des notions disponibles dans ces deux champs d’études invitent les soignants à se questionner sur de nombreux aspects de leur pratique. Que cette pratique soit individuelle ou en équipe.
Tableaux #
Tableau 1 #
Titre : Hiérarchie des niveau de réponse empathique de l’empathic communication coding system, d’après [12,13].
| 0 | Refus/non-confirmation | Le soignant ignore l’opportunité d’empathie du patient ou fait une déclaration de non-confirmation. |
| 1 | Reconnaissance superficielle | Le soignant formule une réponse automatique dite scénarisée, occasionnant une reconnaissance minimale de l’opportunité empathique. |
| 2 | Reconnaissance implicite | Le soignant ne reconnaît pas explicitement le problème central de l’opportunité empathique, mais se concentre sur un aspect périphérique de l’énoncé et change de sujet. |
| 3 | Reconnaissance | Le soignant reconnaît explicitement le problème central de l’opportunité empathique sans poursuivre sur le sujet. |
| 4 | Poursuite | Le soignant reconnaît explicitement le problème central de l’opportunité empathique et poursuit le sujet avec la personne soignée en lui posant une question, en lui offrant des conseils ou un soutien, ou en développant un point soulevé. |
| 5 | Confirmation | Le soignant transmet au patient que l’émotion, le progrès ou le défi exprimé est légitime. |
| 6 | Émotion ou expérience partagée | Le soignant révèle explicitement qu’il partage l’émotion du patient ou qu’il a vécu une expérience, un défi ou des progrès similaires. |
Tableau 2 #
Titre : Version révisée de l’empathic communication coding system, d’après [14].
| Validation | Le soignant indique que l’émotion ou l’expérience de la personne soignée est appropriée ou raisonnable, en confirmant son commentaire. |
| Réflexion | Le soignant utilise ses propres mots pour interpréter et dire au participant ce qu’il comprend de ce qui a été partagé. |
| Reconnaissance | Le soignant exprime quelque chose qui indique la reconnaissance de l’émotion ou de l’expérience de la personne soignée. |
| Le partage d’expérience | Le soignant révèle quelque chose sur lui-même comme moyen d’entrer en relation. |
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