Les ruminations, les pratiques pour s’en libérer

Bérengère et Éric Maeker, 22 Août 2017. Mis à jour le 10 Juin 2018.

Si quelqu’un désire la santé, il faut d’abord lui demander s’il est prêt à supprimer les causes de sa maladie. Alors seulement il est possible de l’avoir.
Hippocrate

La seule façon d’accomplir est d’être.
Lao Tseu

Un psychothérapeute doit savoir éveiller le psychothérapeute qui sommeille chez son patient.
Thich Nhat Han

Les ruminations entament grandement les capacités d’attention et de concentration. Remplies d’idées circulaires ne trouvant aucune solution dans l’esprit, elles consomment chaque parcelle du mental et effacent peu à peu la réalité des évènements. Il est possible de se libérer de ces ruminations. Pour s’en libérer, il est fondamental dans un premier temps de savoir identifier les ruminations. Car la capacité d’identification libère des parcelles attentionnelles et permet de gérer ces nébuleuses mentales. Peu à peu, dans la démarche proposée, le “ruminant” devient le thérapeute.

Après avoir dresser le tableau de ces « galaxies mentales » dans un précédent article, l’analyse porte sur les remèdes disponibles. Comment se libérer des ruminations ?

Sans prétention à l’exhaustivité, les ruminations comprennent jugements, frustrations, anticipations de l’avenir, pensées à la place d’autrui, revues incessantes des évènements passés, combats contre soi-même, pensées cataclysmiques, nœuds émotionnels, émotions désagréables.
Une description détaillée est proposée dans cet article. Sa lecture est conseillée préalablement à la poursuite de cet article.

Il existe des techniques pour se libérer des ruminations. Les méthodes présentées ci-dessous sont à adapter, aucune n’est universelle. Il appartient à chacun de s’engager dans un effort de compréhension et surtout de mise en pratique, car sans cette mise en pratique, toute méthode est inefficace. Pour ce faire, l’épicentre des pratiques proposées repose sur l’acception de devenir son propre thérapeute : accepter d’être la source de la guérison. Car chacun peut être le moteur de sa santé. Cette étape primordiale permet de s’offrir la possibilité de mettre en action les conseils qui suivront.

La méthode repose sur quatre actions successives, qui sont, dans l’ordre : sortir de la phase critique, observer, accueillir et réagir. Tout d’abord se pose la question de sortir en urgence des ruminations, lorsque celles-ci sont devenues tellement intenses qu’aucune parcelle de l’esprit n’est disponible. Fort heureusement, cette étape d’urgence s’estompera progressivement avec la mise en pratique de la méthode. L’esprit deviendra vigilant à l’apparition d’un début de rumination et mettra en œuvre les mesures libératoires nécessaires sans attendre ni se laisser déborder.

Quelle est la méthode ?

Quand l’esprit est saturé par des ruminations, les émotions désagréables, les jugements incessants (de soi et des autres) ; qu’un sentiment d’urgence à l’apaisement se fait sentir, la première étape consiste à mettre le corps en action. Immédiatement, sans attendre ni réfléchir.
Une marche rapide d’une dizaine de minutes suffit à limiter le flux des pensées et libère suffisamment d’espace mental pour pouvoir revenir, une fois calmé, aux difficultés. Tout sport, activité physique, quelque peu soutenu peut remplacer la marche, il suffit alors de surveiller l’apaisement des pensées pour savoir quand arrêter.
Attention toutefois, il est inutile de violenter le corps pour obtenir un résultat. Les sports violents ou à (ultra-)haute intensité seront écartés des possibilités, car dans cet état de consommation immodérée d’attention et de concentration, le risque de blessures sérieuses est particulièrement élevé.

Lorsque l’urgence s’est dissipée, il est possible de reprendre la mise en œuvre du remède ou de profiter de ce moment d’accalmie.

La première étape se limite à l’observation des ruminations. L’objectif est de concrétiser toutes ses galaxies qui flottent et tournoient dans le mental. La cartographie détaillée de ces galaxies permettra de les analyser, de les gérer. Avant de mettre en œuvre cette étape cruciale, il est conseillé de prendre connaissance de l’anatomie des ruminations.

Le contexte dans lequel l’observation se réalise est à prendre en compte. Il est souhaitable d’être dans le silence avec un corps immobile, un carnet de note à portée de main. Il suffit alors de noter le contenu des ruminations, des émotions ressenties. Plus les notes seront détaillées plus l’identification des problématiques sera facile. Arrêter l’agitation et écrire, poser lentement les idées pour s’en détacher.

Une séance de quelques minutes de méditation de pleine conscience ou de relaxation (par exemple la respiration de synchronisation cardiaque) peut diminuer et limiter l’impact des ruminations. Assis, dos droit, immobile, regard droit devant descendant vers le sol à quelques dizaines de centimètres devant, la concentration se posera sur la respiration et uniquement la respiration. Les pensées continueront leur danse onirique sans que leur soit apposé de jugements et sans que l’esprit ne soit emporté par celles-ci. Une pratique régulière permet d’obtenir des résultats probants. Cette pratique pourra être guidée pour assurer un apprentissage optimum. La lecture de livres de pratique pourra aider à concrétiser une pratique régulière. Cette technique alliant technologie et méditation peut servir de point de vigilance à la méditation.

Se connecter au ressenti corporel et d’identifier les émotions qui s’animent à l’intérieur est le point d’orgue de cette phase d’observation. La ressource corporelle permet de couper dans l’urgence les ruminations et permet de trouver les nœuds émotionnels à l’œuvre. Nommer les émotions agira sur leur impact et ouvrira la porte de leur analyse. Cette pratique demande, elle aussi, un entraînement certain. Celui-ci est à la portée de chacun.

Dans la seconde étape, il convient d’accepter ce qui est, tel qu’il est. Accepter ses émotions, ses pensées. Cela évite d’alimenter un combat contre soi-même et permet d’avancer vers une résolution.

Accueillir, c’est aussi reconnaître son état émotionnel et l’accepter. Cette étape consiste à ressentir les émotions qui naviguent en soi et commencer par les nommer toutes, sans exception. Certaines émotions s’effaceront dès cette étape. Pour d’autres émotions, il sera utile de les laisser s’exprimer pleinement dans le corps : la tristesse donnera des larmes, la colère des frappes dans un coussin, la peur un mouvement de recul, de repli et/ou un cri… Le corps a besoin d’extérioriser les émotions. Toute émotion non exprimée forme l’équivalent d’un nœud, l’émotion s’enkyste et peut resurgir sans prévenir des années plus tard. Pour accepter une émotion, il est possible de simplement se dire : “Colère, te voilà à nouveau, bienvenue à toi. Qu’as-tu à me dire ?”

Par la suite, un effort d’identification des besoins liés à la naissance des émotions permettra un début de dénouement. Les émotions nous alertent, en quelque sorte, sur la satisfaction de besoins (comme la joie) ou leur insatisfaction (comme la colère). Trouver le ou les besoins associés aux émotions ressenties est une étape indispensable. Quelques exemples. La tristesse : “Oui, je suis triste suite au départ d’un enfant du nid douillé de la maison”, “j’ai le droit d’être triste, j’ai besoin de pleurer mon ami”, “j’ai besoin d’intimité pour libérer mes larmes”… Une fois acceptée et accueillie, cette tristesse peut être analysée posément : “Cette tristesse semble liée en moi à un sentiment d’abandon. De quoi ai-je besoin maintenant ?”.

Si les ruminations sont causées par une frustration, par exemple le refus d’un conjoint d’aller au cinéma ou au théâtre ou au restaurant, il est important d’accepter la source de la frustration, à savoir l’insatisfaction d’une demande. Il est ainsi possible de s’interroger sur ce qui est maîtrisable et ne dépend pas d’autrui : La demande a-t-elle était formulée ? Si oui, de quelle façon ? La réponse ayant été négative, une négociation a-t-elle pu avoir lieu et sinon est-il possible de l’initier ? Etc… En acceptant l’évènement initial sans jugement, la voie de la résolution s’ouvre.

Autre exemple, les ruminations s’expriment dans un sentiment d’incompétence à l’approche des épreuves. Les accepter permet de creuser le contexte. “Oui, je me sens incompétent, les examens sont dans une semaine et je vais les rater…”. Les révisions ont-elles brossé toutes les matières ? Sinon, quel plan d’action est-il encore possible de mettre en place ? Le niveau de sommeil actuel permet-il de poser un regard serein sur l’état des révisions ?

Une autre clé pour favoriser l’acceptation des pensées et émotions réside dans l’identification et la reformulation des jugements. L’utilisation conjointe de la suspension de jugement et d’une formulation affirmative et directe apporte un appui pertinent à l’analyse de son état d’esprit. Ces deux articles regorgent d’exemples et d’explications.

Un dernier outil consiste à reformuler ses peurs en doutes. Par exemple, “j’ai peur des araignées” deviendrait pour certaines personnes simplement “je doute de survivre à une piqûre d’araignée”, pour d’autres “je déteste ressentir des douleurs, je doute qu’une piqûre d’araignée soit indolore”, ou encore “je sais que les insectes et les araignées transmettent des maladies, je doute qu’elles soient facilement identifiables et qu’il existe un traitement”. En apposant un regard bienveillant sur ces reformulations, il est possible de trouver le blocage de certaines peurs et d’ouvrir une porte vers leur résolution (aussi partielle soit-elle).

  • Voici un exemple de reformulation
    • “Je suis nul, je vais louper mes examens”
    • “Je doute d’avoir une note d’au moins 10/20 à mes examens. Il me reste encore une semaine pour établir un plan de révision adapté. Comment puis-je faire pour obtenir ce résultat qui m’est nécessaire ?”
  • Voici d’autres exemples à visée d’entraînement (il suffit d’imaginer un contexte)
    • “Il ne veut jamais sortir quand c’est moi qui demande”
    • “Je peux lui demander cent fois de faire les courses, il ne les fait jamais”
    • “Elle ne veut jamais que j’invite mes amis à manger”
    • “Mon boss ne pense qu’à me brimer de toute façon, je n’aurai jamais mon augmentation”

En résumé, l’acceptation permet de se libérer de l’émotionnel (même en partie) et de libérer une parcelle d’attention. L’ouverture de cette brèche attentionnelle permet d’entamer une analyse distanciée, dépassionnée de la situation. Cette analyse en profondeur peut rendre nécessaire l’accompagnement par un professionnel du domaine de la santé. Accepter d’avoir besoin d’une aide extérieure, c’est déjà s’engager dans le chemin qui éloigne des ruminations.

Dès que les ruminations sont mises à nu, identifiées et acceptées, il est possible de définir un plan d’action selon la situation à la source des ruminations. La mise en action est un absolu nécessaire, rester dans l’inactivité par rapport à la situation initiale ne fera qu’augmenter le sentiment d’impuissance et d’échec et, par là même, les ruminations.

Les zones de vigilances utiles à la définition du plan d’action sont les suivantes :

  • Recréer un espace mental par un temps d’inactivité (mentale et physique). Cet espace mental est nécessaire à la mise en place des étapes suivantes.
  • Reposer le corps et l’esprit par un temps de sommeil adapté. Grâce à cette vigilance, l’état de résolution des problématiques deviendra mesurable. Le temps et la qualité du sommeil sont proportionnels au niveau de résolution de la problématique.
  • Activer ou réactiver le corps à l’aide d’un temps d’activité physique quotidienne, sans se violenter.
  • Chercher à satisfaire les besoins insatisfaits explorés lors de l’analyse des ruminations.
  • Réveiller sa créativité dans la recherche de solutions aux problématiques soulevées.
  • Si cela s’avère nécessaire, accepter le besoin d’aide d’un professionnel et la rechercher.
  • Établir un plan d’action, le mettre en œuvre et régulièrement le réévaluer.

Les ruminations sont des pensées qui peuvent occuper tout l’espace mental. Elles prennent leur source dans les frustrations, les peurs, les émotions non gérées et les jugements (de soi et d’autrui). Il est possible de gérer ces pensées “circulaires” qui passent et repassent sans cesse dans l’esprit. Un apprentissage est nécessaire. Celui-ci peut limiter voire stopper les ruminations, libérer de l’espace mental, restaurer les capacités d’attention de l’esprit. Il existe plusieurs pistes pour ralentir la progression de ces pensées et même les anticiper. L’épicentre de la libération tient en cette phrase empruntée à Thich Nhat Han : “Un psychothérapeute doit savoir éveiller le psychothérapeute qui sommeille chez son patient”. Devenir son propre thérapeute.

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