La fibro récalcitrante
- Les « petites histoires cliniques » relatent des rencontres, des discussions, des observations propices à entretenir la réflexion.
- Lorsque cela m’est possible, une autorisation de publication est demandée aux personnes concernées. Lorsque cela m’a été impossible, pour quelque raison que ce soit, j’ai pris la liberté de romancer en tâchant de conserver le fond intact. J’écris les histoires telles que je les ai vécues et en suspension de jugement.
- Les lieux, les dates et les noms des personnes concernées par ces histoires sont volontairement exclus du récit pour en assurer la confidentialité.
- Les « petites histoires cliniques » sont annoncées sur la page d'accueil du site et sur les réseaux sociaux auxquels je suis inscrit. Je vous invite à poursuivre la discussion via la page contact.
toute souffrance vient de l’enfermement en soi-même.
Bouddha
Quand ton travail et tes paroles font du bien à toi-même et à autrui, là est le bonheur.
Bouddha
Début de matinée dans un service de court séjour gériatrique au sein d’un hôpital public périphérique de taille moyenne. L’infirmière arrive dans la salle de soin où je l’attends, elle est visiblement agacée et déjà le « nez dans le guidon ». Sans prendre la peine de dire bonjour, elle m’interpelle : « Mme Z refuse de faire sa fibro gastrique, moi je m’en occupe plus, ça fait dix minutes que je bataille avec elle et la salle de fibroscopie n’arrête pas de m’appeler ». La situation me paraît propice pour un apprentissage pour l’interne présent sur ce secteur. Il avait participé la veille à l’entretien que j’avais eu avec la dame en question et avait donc, s’il avait gardé un niveau d’attention suffisant, les potentiels éléments de résolution de la problématique. Je lui propose de le laisser intervenir. Il accepte de bon cœur. « J’y vais de suite, la fibro est dans une vingtaine de minutes ».
Du couloir, je n’entends que quelques fragments de l’échange. « Vous ne vous rendez pas compte… », « comment on va faire pour vous soigner si vous refusez les examens… », « le gastro vous attend déjà il a appelé dans le service, vous devez y aller maintenant ». À l’évidence, le blocage prend de l’ampleur et Mme Z refuse de parler jusqu’au moment ou elle demande à quitter le service. Il interrompt l’échange devant un tel refus et me rejoint. Nous débriefons de la situation. Il m’expose « l’opposition catégorique » de Mme Z qui « puisqu’elle ne veut pas être soignée fait bien de demander à partir ». Je le questionne alors.
– Pourquoi Mme Z refuse de faire la fibro ?
– Elle a peur, me dit-il.
– Peur de quoi exactement ?
– De la fibro je présume.
Je propose d’intervenir auprès de Mme Z. Ci-dessous se trouve une retranscription plus ou moins fidèle de l’entretien.
– Bonjour Mme Z. comment ça se passe pour vous ce matin ?
– Horrible docteur, je veux partir.
– Vous voulez partir ?
– Oui, ils veulent me forcer à faire une fibroscopie de l’estomac.
– Vous forcer me dites-vous ?
– Oui, je ne veux pas la faire. C’est tout docteur, laissez-moi partir.
– Pour que je vous comprenne bien. Hier, nous avons discuté de votre anémie. Vous en rappelez-vous ?
– Oui
– Je vous ai proposé un premier traitement et vous ai invité à envisager de réaliser une fibroscopie de l’estomac.
– C’est vrai docteur.
– Vous aviez de l’appréhension et finalement nous nous sommes accordés à faire cet examen.
– Oui mais j’ai peur.
– Vous avez peur, c’est normal avant un examen. Pourriez-vous m’en dire plus sur cette peur ?
– J’ai peur de mourir. Ma mère est morte dans cet hôpital, dans ce service le lendemain de sa fibroscopie et j’ai peur de mourir comme elle après.
– Ah, je vous comprends. Votre mère est décédée après une fibroscopie et j’en suis désolé.
– Elle était en soins palliatifs. Le docteur avait dit que son état était critique. Il parlait d’un ulcère et d’une injection ou une sorte d’élastique dans l’estomac.
– D’accord. Votre mère était en soins palliatifs et avait sûrement un ulcère de l’estomac qui saignait en abondance.
– C’est ça docteur.
– Et quand j’ai parlé de fibroscopie, vous avez imaginé le pire pour vous comme cela a été le cas pour votre mère.
– Oui c’est ça.
– Je comprends. Je vais vous expliquer à nouveau le pourquoi de la fibroscopie. Votre anémie est plus légère que celle qu’a dû présenter votre mère et la fibroscopie sera utile pour assurer un diagnostic plus précis pour mieux choisir les traitements. Actuellement, votre état de santé est très éloigné d’une prise en charge palliative. Votre situation est très différente à celle de votre mère et malgré tout il est naturel de ressentir de la peur avant un examen difficile. (Je laisse passer un silence) Que faisons-nous alors pour cette fibroscopie ? Je peux la reprogrammer, l’annuler ou s’il nous reste du temps vous la faire passer maintenant. Qu’en dîtes-vous ?
– Je veux bien la faire maintenant parce que demain j’aurai trop peur.
– D’accord, je vois ce qu’il est possible de faire. Souhaitez-vous un léger sédatif avant de faire l’examen ?
– C’est possible docteur ?
– Bien sûr.
– Alors oui.
Grâce à une écoute empathique, Mme Z a pu exposer sa problématique vis-à-vis de la fibroscopie. Ayant été validée et légitimée dans son émotion, la peur de mourir, elle a pu envisager sa propre situation en limitant les projections de ses expériences passées. Pour finalement accepter de passer l’examen, sous couvert d’une légère sédation.
Pour aller plus loin
- Carl Rogers
- Thomas Gordon
- Marshall Rosenberg