Noël en famille : 7 signes d'alerte chez votre parent âgé #
Par Dr Éric Maeker, Bérengère Maeker-Poquet • Publié le • Mis à jour le
✅ 7 signes d'alerte : perte de poids, maison négligée, frigo vide, confusion, isolement, hygiène, changements d'humeur
✅ Un seul signe persistant justifie une consultation gériatrique dans les semaines suivant les fêtes
✅ Profiter de Noël pour ouvrir le dialogue avec bienveillance, sans dramatiser ni infantiliser
✅ Observer sans juger, noter concrètement ce qui vous inquiète pour en parler au médecin
L'histoire de Nathalie et Madeleine #
Nathalie, 52 ans, vit à Toulouse depuis vingt ans. Ce 23 décembre, elle prend le train pour rejoindre sa mère Madeleine, 81 ans, qui vit seule à Arras depuis le décès de son mari il y a trois ans. Nathalie n'a pas revu sa mère depuis le mois de juillet, cinq mois déjà. Son frère Philippe habite à vingt minutes. Il est peu présent et assure que “Maman va très bien, tu t'inquiètes pour rien”.
En poussant la porte de la maison familiale, Nathalie sent immédiatement que quelque chose a changé. Une odeur de renfermé, un désordre inhabituel dans l'entrée, et surtout ce visage amaigri qui l'accueille avec un grand sourire. “Ma chérie, te voilà enfin !”
Au fil des deux jours suivants, Nathalie va observer sa mère avec un mélange d'amour et d'inquiétude. Ce qu'elle découvre, beaucoup de familles le vivent chaque année au moment des fêtes.

Pourquoi Noël est un moment clé pour observer vos parents ? #
Les fêtes de fin d'année offrent souvent l'occasion de retrouver des parents ou grands-parents que l'on n'a pas vus depuis plusieurs mois. Cette distance temporelle, même si elle est parfois source de culpabilité, présente un avantage inattendu : elle permet de remarquer des changements qui passent inaperçus au quotidien.
Quand on voit quelqu'un tous les jours, comme Philippe avec sa mère, les modifications s'installent petit à petit, presque de façon invisible. Seulement, après cinq ou six mois d'absence, certains changements sautent aux yeux. “Ce n'est plus vraiment maman” : cette impression de Nathalie mérite d'être prise au sérieux.
Ce guide vous aide à distinguer les évolutions normales du vieillissement de celles qui nécessitent une attention médicale, tout en vous donnant des clés pour aborder ces sujets délicats avec bienveillance.
Les 7 signes d'alerte à observer pendant les fêtes #
1. Perte de poids visible #
En serrant sa mère dans ses bras, Nathalie est frappée par sa maigreur, elle sent les os de sa colonne vertébrale. “Tu as perdu du poids, Maman ?” Madeleine balaie la question d'un geste de la main : “Oh, un peu, je n'ai plus tellement faim quand je suis seule.” Plus tard, en regardant les photos du dernier Noël, le doute n'est plus permis : le visage de Madeleine s'est creusé, ses vêtements flottent sur elle.
Ce qui doit alerter : vêtements devenus trop grands, visage amaigri, alliance qui tourne au doigt, ceinture resserrée de plusieurs crans.
La dénutrition touche près d'une personne âgée sur trois en institution et 7 à 13% des seniors vivant à domicile. Une perte de poids supérieure à 5% en un mois ou 10% en six mois constitue un signal d'alarme médical.
Comment observer : comparez avec les photos de l'année dernière. Proposez de peser votre proche si possible (“Tiens, on se pèse tous pour voir !”).
Ce qui est normal : une légère perte de masse musculaire avec l'âge, sans retentissement sur les vêtements.
2. État du domicile #
Nathalie connaît sa mère : une femme méticuleuse, qui passait l'aspirateur tous les deux jours et ne supportait pas un coussin de travers. Pourtant, en traversant le salon, elle remarque une fine couche de poussière sur les meubles, des piles de journaux non triés, une ampoule grillée au-dessus de l'escalier. Dans la chambre, le lit semble fait à la hâte. “Ce n'est pas Maman, ça”, pense-t-elle.
Ce qui doit alerter : maison désordonnée alors qu'avant tout était à sa place, poussière accumulée, vaisselle sale empilée, courrier non ouvert, ampoules grillées non remplacées, jardin à l'abandon.
Ces signes peuvent révéler une fatigue inhabituelle, une perte de motivation liée à une dépression, ou des difficultés physiques à effectuer les tâches quotidiennes.
Comment observer : parcourez discrètement les différentes pièces. Regardez les endroits habituellement bien entretenus.
Ce qui est normal : un peu de désordre avant votre arrivée (la préparation des fêtes fatigue tout le monde).
3. Contenu du réfrigérateur et des placards #
Tout le monde est dans la cuisine et s'attelle à préparer le repas. L'ambiance est joyeuse. Nathalie ouvre le réfrigérateur. Ce qu'elle découvre la glace : un fond de lait périmé depuis dix jours, quelques yaourts, un reste de jambon sous cellophane. Dans le bac à légumes, une salade flétrie. Les placards ne sont guère plus rassurants : des boîtes de biscuits, des conserves, mais rien qui ressemble à de vrais repas. “Mais Maman, tu manges quoi ?” Madeleine hausse les épaules : “Oh, je grignote, tu sais, à mon âge…”
Ce qui doit alerter : frigo vide ou rempli d'aliments périmés, accumulation de plats identiques non consommés, placards garnis uniquement de gâteaux secs, absence de fruits et légumes frais.
Un réfrigérateur raconte beaucoup sur l'alimentation et l'autonomie d'une personne. La dénutrition s'installe souvent progressivement, sans que la personne en ait conscience.
Comment observer : proposez d'aider à préparer le repas ou de ranger les courses des fêtes.
Ce qui est normal : un frigo un peu vide juste avant les fêtes (les courses sont prévues pour le réveillon).
4. Confusion ou désorientation #
Le soir du réveillon, la famille est réunie. Madeleine rayonne de bonheur. Cependant Nathalie remarque qu'elle pose trois fois la même question à son petit-fils : “Alors, tu es en quelle classe maintenant ?” À chaque fois, Léo répond patiemment, sans comprendre. Plus tard, Madeleine cherche le prénom de sa belle-fille, qu'elle connaît depuis quinze ans. “Comment elle s'appelle, déjà, la femme de Philippe ?” Ce n'est pas de la distraction passagère : c'est un trou, un vide.
Ce qui doit alerter : difficulté à suivre une conversation, questions répétées plusieurs fois dans la même heure, confusion sur la date ou les événements récents, perte de fil au milieu d'une phrase.
Ces signes peuvent évoquer des troubles de la mémoire qui méritent une évaluation. Attention toutefois : la fatigue, le bruit et l'excitation des fêtes peuvent perturber même une personne en bonne santé cognitive.
Comment observer : écoutez attentivement les conversations, sans tester ni mettre en échec (“Tu te souviens de… ?”). Notez mentalement les répétitions ou les incohérences.
Ce qui est normal : oublier un prénom ou un détail, puis s'en souvenir plus tard. Confondre des petits-enfants qui se ressemblent.
5. Isolement social et repli #
En discutant avec sa mère, Nathalie réalise que Madeleine ne parle plus de personne. “Et Jacqueline, ta voisine ? — Oh, je ne la vois plus tellement. — Et le club de bridge ? — J'ai arrêté, c'était trop fatigant d'y aller.” Peu à peu, Nathalie comprend que sa mère ne sort presque plus de chez elle. Elle qui adorait les repas de famille reste en retrait pendant le réveillon, fatiguée par le bruit, et monte se coucher avant le dessert.
Ce qui doit alerter : refus de participer aux activités familiales, retrait inhabituel pendant les repas, désintérêt pour des sujets qui passionnaient autrefois, absence de nouvelles des amis ou voisins.
L'isolement peut être un signe de dépression ou de solitude chronique, ainsi qu'une conséquence de troubles auditifs non corrigés qui rendent les conversations de groupe épuisantes.
Comment observer : comparez avec le comportement habituel lors des fêtes précédentes. Essayez un moment en tête-à-tête, plus calme.
Ce qui est normal : avoir besoin de se reposer pendant les festivités, préférer les moments calmes aux grandes tablées bruyantes.
6. Négligence de l'hygiène personnelle #
Le lendemain matin, Nathalie remarque que sa mère porte le même gilet taché que la veille. Ses cheveux, habituellement impeccables, sont en bataille. En l'embrassant, elle perçoit une légère odeur. Madeleine, qui ne serait jamais sortie sans son rouge à lèvres, semble avoir abandonné tout effort. Ce détail, plus que tous les autres, serre le cœur de Nathalie.
Ce qui doit alerter : vêtements sales ou tachés, odeurs corporelles inhabituelles, cheveux non coiffés, ongles non entretenus, apparence générale négligée chez quelqu'un habituellement soigné.
Cette négligence peut révéler des difficultés physiques (douleurs, problèmes d'équilibre dans la douche), une dépression, ou des troubles cognitifs affectant la capacité à organiser les gestes du quotidien.
Comment observer : sans jugement ni commentaire désobligeant. Comparez avec vos souvenirs des années précédentes.
Ce qui est normal : être un peu moins apprêté à la maison qu'en sortie, avoir les cheveux en désordre au réveil.
7. Changements d'humeur et de personnalité #
Ce qui frappe le plus Nathalie, m'a-t-elle racontée lors notre consultation, c'est l'anxiété nouvelle de sa mère. Madeleine, qui a toujours été une femme solide, s'inquiète maintenant de tout : “Tu as bien fermé la porte ? Tu es sûre que le four est éteint ? Philippe va bien arriver ?” Elle sursaute au moindre bruit, s'énerve pour des détails, puis fond en larmes sans raison apparente. “Excuse-moi, je ne sais pas ce que j'ai en ce moment.”
Ce qui doit alerter : irritabilité inhabituelle, anxiété excessive pour des situations banales, méfiance nouvelle envers l'entourage, tristesse persistante, perte d'intérêt pour les activités autrefois appréciées.
Des changements de comportement marqués après 50-60 ans peuvent précéder de plusieurs années l'apparition de troubles cognitifs. Ils méritent une attention particulière lorsqu'ils persistent plus de six mois.
Comment observer : comparez avec la personnalité habituelle de votre proche. Demandez-vous : “Est-ce vraiment lui/elle ?”
Ce qui est normal : être stressé par l'organisation des fêtes, fatigué par l'effervescence, ému par les retrouvailles.
Comment aborder le sujet avec bienveillance ? #
Ce que Nathalie a choisi de faire #
Le 26 décembre, après le départ de Philippe et de sa famille, Nathalie propose à sa mère une promenade dans le quartier. L'air est froid mais le soleil brille. Elle glisse son bras sous celui de Madeleine et, doucement, engage la conversation.
“Maman, comment tu te sens vraiment, en ce moment ?”
Madeleine hésite, puis avoue : “C'est dur, tu sais, toute seule. Parfois je n'ai envie de rien. Je me dis que ça ne sert plus à grand-chose.”
Nathalie ne minimise pas, ne dramatise pas. Elle écoute. Elle dit simplement : “Je suis là, Maman. Et je voudrais qu'on trouve des solutions ensemble.”
Choisir le bon moment #
Évitez d'aborder vos inquiétudes pendant le repas de Noël ou en présence de toute la famille. Privilégiez un moment calme, en tête-à-tête, sans pression de temps.
Exemple de timing : le lendemain du réveillon, pendant une promenade digestive, ou simplement assis ensemble avec un café.
Utiliser les bonnes formulations #
À éviter :
- “Tu as vraiment mauvaise mine”
- “Ta maison est dans un état !”
- “Tu ne te souviens de rien”
- “Il faut absolument que tu voies un médecin”
À privilégier :
- “Comment tu te sens en ce moment ?”
- “Est-ce que tu as besoin d'aide pour certaines choses ?”
- “J'ai remarqué que tu semblais fatigué(e), est-ce que tout va bien ?”
- “Je m'inquiète un peu pour toi, tu veux qu'on en parle ?”
Écouter vraiment #
Votre parent a peut-être conscience de ses difficultés et n'ose pas en parler. Laissez des silences, ne coupez pas la parole, accueillez ce qui est dit sans minimiser ni dramatiser.
Éviter les bras de fer #
Si votre proche refuse d'en parler, n'insistez pas ce jour-là. Vous pouvez simplement dire : “Je comprends. Sache que je suis là si tu veux en parler plus tard.”
Que faire après les fêtes ? #
Ce que Nathalie a décidé #
De retour à Toulouse, Nathalie n'a pas laissé passer le temps. Dès le 2 janvier, elle a appelé le médecin traitant de sa mère pour lui faire part de ses observations. Elle a noté tout ce qu'elle avait remarqué : la perte de poids, l'état du frigo, les questions répétées, le repli social, l'anxiété nouvelle.
Deux semaines plus tard, Madeleine a vu son médecin pour un “bilan de santé général”. Le médecin, informé par Nathalie, a pu orienter les examens et proposer une consultation mémoire. Madeleine a d'abord refusé, puis accepté quand Nathalie a proposé de l'accompagner lors de sa prochaine visite.
Le diagnostic n'est pas encore posé. Peut-être s'agira-t-il d'une dépression, peut-être d'autre chose. Au moins, Madeleine est accompagnée.
Agir sans attendre #
Si vous avez observé un ou plusieurs signes préoccupants, ne laissez pas passer des mois avant d'agir. Le délai moyen de diagnostic complet de la mémoire en France est de deux ans après les premiers symptômes : c'est trop long.
Actions concrètes :
- Notez ce que vous avez observé (dates, exemples concrets)
- Contactez le médecin traitant de votre proche pour partager vos observations
- Proposez d'accompagner votre parent à une consultation
- Renseignez-vous sur les consultations mémoire de votre région
Impliquer les autres membres de la famille #
Nathalie a aussi appelé Philippe. “Tu n'as vraiment rien remarqué ?” Son frère a reconnu que si, maintenant qu'elle le disait, il y avait des choses qui l'avaient interpellé, mais il n'avait pas voulu s'inquiéter. Ensemble, ils ont décidé de se relayer pour visiter leur mère plus régulièrement.
Parlez de vos observations avec vos frères et sœurs ou d'autres proches. Ont-ils remarqué les mêmes choses ? Cette mise en commun permet d'objectiver la situation et de partager la responsabilité de l'accompagnement.
Organiser un suivi à distance #
Si vous habitez loin, mettez en place des solutions pour garder le contact régulièrement : appels téléphoniques hebdomadaires, visioconférences, coordination avec les voisins ou le médecin traitant.
La FAQ de Noël #
Questions Fréquentes
Mon parent refuse de voir un médecin, que faire ?
Ne forcez pas directement. Proposez d'abord une visite au médecin traitant pour un “bilan de santé général” plutôt qu'une consultation mémoire. Accompagnez-le. Si le refus persiste et que la situation vous inquiète vraiment, vous pouvez consulter seul le médecin pour lui faire part de vos observations. Il saura gérer la situation lors d'une prochaine visite/consultation.
Comment différencier fatigue des fêtes et vrai problème ?
La fatigue liée aux fêtes est temporaire et s'améliore après quelques jours de repos. Un vrai problème persiste dans le temps, était déjà présent avant les festivités, et ne s'explique pas par le contexte. Recontactez votre proche une semaine après les fêtes pour voir si la situation s'est améliorée.
Dois-je m'inquiéter si mon parent répète plusieurs fois la même question ?
Cela dépend du contexte. Répéter une question dans l'effervescence d'un repas de Noël avec 15 personnes est normal. Répéter la même question 4-5 fois en une heure, dans un contexte calme, en ayant oublié qu'on l'a déjà posée, justifie une attention particulière et une consultation si cela persiste.
Mon parent vit seul et loin, comment surveiller son état à distance ?
Plusieurs solutions : appels téléphoniques réguliers (écoutez la voix, la cohérence du discours), coordination avec voisins de confiance, contact régulier avec le médecin traitant, services de téléassistance. Pour les fêtes, si possible, passez quelques jours sur place plutôt qu'une simple journée.
À quel moment faut-il vraiment s'alarmer ?
Consultez rapidement si : confusion soudaine et inhabituelle (peut être une infection), chute récente, perte de poids importante visible, négligence grave de l'hygiène, propos délirants ou méfiance excessive, impossibilité de gérer les gestes du quotidien (repas, médicaments). Un seul signe sévère ou plusieurs signes modérés qui persistent justifient une consultation gériatrique.
À retenir : observer avec amour, agir avec discernement #
L'histoire de Nathalie et Madeleine ressemble à celle de milliers de familles chaque année. Les fêtes de fin d'année ne sont pas qu'un moment de célébration : elles offrent une opportunité précieuse d'observation pour les enfants éloignés géographiquement.
Les changements que vous percevez chez vos parents après plusieurs mois d'absence méritent d'être pris au sérieux, sans pour autant céder à la panique. Un seul signe isolé ne signifie pas nécessairement un problème grave. Mais plusieurs signes combinés, ou un changement marqué par rapport à la personnalité habituelle, justifient une consultation médicale dans les semaines qui suivent les fêtes.
L'essentiel est d'aborder ces observations avec bienveillance, sans infantiliser ni dramatiser. Votre parent reste une personne adulte, digne de respect et de considération. Votre rôle est de l'accompagner, plutôt que de décider à sa place.
Et si vous avez le moindre doute, consultez un gériatre : mieux vaut une fausse alerte qu'un diagnostic tardif.
Nathalie, elle, ne regrette pas d'avoir osé regarder, écouter, et agir. “Au moins, se dit-elle, Maman sait qu'elle n'est pas seule.”

