Alimentation en fin de vie : 5 questions essentielles pour accompagner dignement #

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“Nourrir quelqu'un qu'on aime, c'est une manière de dire 'je t'aime'. Seulement, parfois, la plus belle preuve d'amour est d'accepter que le corps n'a plus besoin de nourriture.”
– Dr Kathryn Mannix, spécialiste en soins palliatifs

Pourquoi nos proches arrêtent-ils de manger en fin de vie ? #

La diminution progressive de l'alimentation en fin de vie constitue l'une des situations les plus difficiles à accepter pour les familles. Voir un être cher refuser de se nourrir déclenche une angoisse profonde, ancrée dans notre instinct de protection et dans la symbolique universelle du repas comme acte d'amour et de soin.

Pourtant, cette diminution de l'appétit et cette réduction des apports alimentaires représentent un processus naturel et attendu lorsque le corps s'engage dans ses dernières étapes. Comprendre les mécanismes physiologiques en jeu permet d'accompagner cette transition avec plus de sérénité et de respecter le cheminement naturel de la personne.

Les changements physiologiques naturels #

En fin de vie, le métabolisme ralentit petit à petit. Le corps nécessite de moins en moins d'énergie car toutes ses fonctions se mettent au repos : la température corporelle diminue, le cœur bat plus lentement, la respiration se fait moins profonde. Dans ce contexte, les besoins nutritionnels et hydriques diminuent considérablement.

La digestion devient plus difficile et inconfortable. L'estomac et les intestins fonctionnent au ralenti. La transformation des aliments devient ainsi pénible. Le foie et les reins, qui filtrent et éliminent les déchets, travaillent moins bien. Maintenir une alimentation normale dans ces conditions peut occasionner des désagréments : nausées, vomissements, ballonnements, diarrhées.

La disparition naturelle de la faim et de la soif #

Contrairement à ce que l'on pourrait craindre, la sensation de faim disparaît naturellement en fin de vie. Cette absence d'appétit ne constitue pas une souffrance mais une adaptation du corps. Des études en soins palliatifs ont montré que les personnes en fin de vie ne ressentent généralement pas la faim, même après plusieurs jours sans manger.

La sensation de soif s'estompe également. Le corps produit des corps cétoniques lors du jeûne, qui ont un effet légèrement euphorisant et analgésique naturel. Ce mécanisme biologique ancestral aide à traverser cette étape dans un certain confort. La bouche peut devenir sèche, et cette sécheresse se soulage efficacement par des soins locaux, sans nécessiter d'hydratation importante.

Doit-on forcer l'alimentation et l'hydratation ? #

Cette question tourmente de nombreuses familles, confrontées au sentiment d'abandonner leur proche en n'insistant pas pour qu'il mange ou boive. La réponse médicale et éthique est difficile à formuler, toutefois il semble préférable d'éviter de forcer l'alimentation et l'hydratation en fin de vie.

Les risques du maintien artificiel de l'alimentation #

Forcer une personne en fin de vie à s'alimenter ou à s'hydrater peut paradoxalement aggraver son inconfort. L'organisme qui ne peut plus assimiler correctement la nourriture et les liquides réagit de plusieurs manières délétères.

L'excès d'hydratation peut provoquer des œdèmes : gonflement des jambes, des bras, accumulation de liquide dans les poumons (œdème pulmonaire) rendant la respiration difficile, encombrement bronchique générant des râles respiratoires impressionnants pour l'entourage. Ces complications médicalisent inutilement les derniers moments et peuvent même prolonger les derniers moments de vie.

L'alimentation forcée génère des nausées, des vomissements, une sensation de trop-plein désagréable. Dans certains cas, elle peut provoquer des fausses routes (passage d'aliments dans les voies respiratoires) dangereuses. Le reflux gastro-œsophagien s'aggrave, causant brûlures et inconfort.

Le positionnement éthique des soins palliatifs #

La philosophie des soins palliatifs repose sur le confort et le respect de la personne. Lorsqu'une personne en pleine conscience refuse de s'alimenter, ce refus doit être respecté. C'est l'expression de son autonomie et souvent le signe que son corps n'en a plus besoin.

Les sociétés savantes de soins palliatifs, tant en France qu'à l'international, s'accordent sur ce principe : en fin de vie, l'alimentation et l'hydratation deviennent des soins de confort et non plus des traitements obligatoires. L'objectif n'est plus la nutrition au sens médical, il s'agit plutôt de maintenir du plaisir et du lien social aussi longtemps que possible.

Quelle place pour l'alimentation plaisir ? #

Si l'alimentation nutritive perd de son importance, l'alimentation plaisir conserve toute sa valeur tant que la personne peut et souhaite en profiter.

Les petites attentions qui comptent #

Proposer de toutes petites quantités des aliments préférés : une cuillerée de glace, quelques gouttes de champagne sur les lèvres, un minuscule morceau de chocolat qui fond dans la bouche. Ces micro-portions ne visent pas à nourrir mais à procurer un instant de plaisir gustatif.

Les textures douces et faciles à avaler sont privilégiées comme les compotes lisses, yaourts, crèmes, sorbets, purées très fluides. Les aliments froids sont souvent mieux tolérés et apportent une sensation rafraîchissante agréable. Les glaces aromatisées (citron, menthe) plaisent souvent.

L'importance du rituel et du partage #

Au-delà de l'aspect nutritionnel, le moment du repas conserve sa dimension sociale et affective. Même si la personne ne mange plus, rester à ses côtés pendant que la famille partage un repas, lui raconter ce qui se passe, lui faire sentir les arômes, ces gestes maintiennent le lien et l'incluent dans la vie familiale.

Proposer régulièrement, sans insister, en respectant les refus. “Voudrais-tu goûter une cuillerée ?” Si la réponse est non, accepter avec douceur. Si la réponse est oui, savourer ensemble ce petit moment de partage, aussi bref soit-il. Veillez toujours à rester vigilant sur d'éventuels troubles de la déglutition.

Comment gérer la sécheresse buccale et la soif ? #

La bouche sèche constitue l'un des inconforts les plus fréquents en fin de vie. Elle se soulage efficacement sans recourir à une hydratation importante.

Les soins de bouche essentiels #

Les soins de bouche deviennent prioritaires et doivent être réalisés régulièrement, toutes les deux à trois heures si possible, et chaque fois que la personne manifeste un inconfort.

Humidifier les lèvres avec un baume labial, du beurre de karité ou simplement de l'eau. Les lèvres sèches peuvent se fissurer et devenir douloureuses. Cette protection simple apporte un grand confort.

Nettoyer délicatement l'intérieur de la bouche avec une compresse imbibée d'eau ou d'un bain de bouche doux, enroulée autour du doigt. Retirer les sécrétions qui peuvent s'accumuler. Ce geste préserve la dignité et le confort de la personne.

Les techniques de réconfort #

Les glaçons à sucer, si la personne est consciente et peut déglutir, apportent une sensation très agréable. Les petits morceaux de glace fondent lentement, humidifiant progressivement la bouche.

Les bâtonnets de glycérine (disponibles en pharmacie) permettent d'humidifier la bouche de manière pratique et efficace. Ils s'utilisent facilement, même chez une personne peu coopérante.

Le spray d'eau minérale apporte une brumisation rafraîchissante. Quelques pulvérisations suffisent à soulager la sensation de sécheresse sans apporter une quantité d'eau excessive.

Que penser des sondes d'alimentation et de perfusion ? #

La question de l'alimentation artificielle (par sonde nasogastrique ou gastrostomie) et de l'hydratation artificielle (par perfusion) se pose parfois en fin de vie.

L'alimentation entérale par sonde #

La pose d'une sonde d'alimentation en fin de vie fait l'objet de controverses éthiques importantes. Les études scientifiques n'ont pas démontré de bénéfice en termes de survie ou de confort chez les personnes en fin de vie. Au contraire, cette intervention médicale peut générer des complications : infection au point d'insertion, inconfort lié à la sonde, risque de retrait par la personne confuse, médicalisation excessive des derniers moments.

Les sociétés savantes recommandent de s'abstenir d'initier une alimentation par sonde d'alimentation chez une personne en fin de vie, sauf situation exceptionnelle et temporaire (par exemple, obstacle transitoire empêchant l'alimentation orale mais avec perspective de guérison). Si une sonde existe déjà, la question de son arrêt peut se poser, en concertation avec l'équipe soignante et la famille.

L'hydratation par voie intraveineuse #

L'hydratation par perfusion présente les mêmes questionnements. En fin de vie, elle peut créer plus d'inconfort qu'elle n'en soulage : œdèmes, encombrement respiratoire, nécessité de poser et maintenir une voie veineuse (source d'inconfort), restriction de mobilité.

Une hydratation sous-cutanée (hypodermoclyse) est parfois proposée comme alternative moins invasive, cependant son indication doit être soigneusement pesée. Elle peut se justifier dans certaines situations transitoires (confusion réversible liée à une déshydratation aiguë, par exemple). Elle est rarement recommandée en toute fin de vie.

La loi française considère l'alimentation et l'hydratation artificielles comme des traitements médicaux. À ce titre, elles peuvent être limitées ou arrêtées si elles constituent une obstination déraisonnable. Cette décision s'inscrit dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti et nécessite une procédure collégiale respectant les directives anticipées de la personne si elles existent.

Comment accompagner les familles dans cette épreuve ? #

L'arrêt de l'alimentation représente souvent l'épreuve la plus difficile pour les familles, générant culpabilité et sentiment d'abandon.

Comprendre la détresse des proches #

Nourrir quelqu'un qu'on aime constitue un geste d'amour universel. Dès la naissance, l'alimentation structure la relation parent-enfant. Tout au long de la vie, partager un repas crée du lien, exprime l'affection, marque les moments importants. Face à un proche en fin de vie qui refuse de manger, les familles peuvent vivre ce refus comme un rejet ou une forme d'abandon.

Cette détresse est légitime et doit être accueillie avec empathie. Les équipes soignantes ont un rôle essentiel d'accompagnement et d'explication pour aider les familles à traverser cette étape.

Le rôle des équipes soignantes #

Expliquer patiemment et à plusieurs reprises les mécanismes physiologiques en jeu. Utiliser des mots simples, des métaphores. “Le corps est comme une maison qui ferme ses volets un par un. Il n'a plus besoin de beaucoup d'énergie maintenant.”

Rassurer sur l'absence de souffrance liée au jeûne. Partager les connaissances issues de la médecine palliative : les personnes en fin de vie qui ne mangent ni ne boivent plus ne souffrent pas de faim ou de soif.

Proposer des gestes alternatifs pour maintenir le lien : soins de bouche, massages des mains, lecture à voix haute, musique. Ces attentions permettent aux familles de continuer à “prendre soin” de manière adaptée à la situation.

Orienter vers le soutien psychologique #

Un accompagnement psychologique pour les familles, proposé par l'équipe de soins palliatifs ou par un psychologue libéral, peut aider à traverser cette période. Certaines familles bénéficient également du soutien de groupes de parole ou d'associations.

Le suivi de deuil après le décès inclut souvent un travail sur ces questions d'alimentation, sources fréquentes de culpabilité rétrospective. Un accompagnement permet de déposer ces émotions difficiles.

 

Questions fréquentes

Combien de temps peut-on vivre sans manger ni boire ?

Variable selon état général : quelques jours à 2-3 semaines sans manger, quelques jours sans boire. En fin vie, la durée de survie est déterminée par maladie sous-jacente, pas par arrêt alimentation. Le jeûne n'accélère pas décès. Le décès est la conséquence d'une maladie qui progresse.

Mon proche a perdu 10 kg en 2 mois, est-ce l'alimentation le problème ?

Non, l'amaigrissement en fin de vie s'appelle cachexie (fonte musculaire/graisseuse). Elle est causée par la maladie (le cancer par exemple). Même un gavage n'inverse pas la cachexie. La différence clé entre dénutrition réversible et cachexie c'est que la première est améliorée par une alimentation augmentée, alors que la seconde est irréversible quelle que soit l'alimentation. Forcer une personne manger n'empêche pas amaigrissement, cela risque de créer de l'inconfort.

Peut-on donner de l'alcool à une personne en fin de vie ?

Oui si personne apprécie et tolère. Quelques gouttes vin/champagne préféré sur lèvres pour un moment plaisir intense qui rejoint une dimension symbolique forte (fêtes, célébrations vie). Aucune contre-indication médicale stricte en fin de vie. La priorité est au confort et au plaisir plutôt qu'au respect des règles diététiques habituelles. Attention toutefois les alcools forts (cognac, whisky) peuvent brûler dans la bouche, ils sont plutôt à éviter.

Comment réagir si la personne demande à manger alors qu'elle ne peut plus avaler ?

Situation délicate ! Il est possible de proposer des micro-quantités (glaçon, glace, compote lisse). Selon le niveau de refus ou de difficulté à avaler, proposer des soins bouche ± intensifs qui donnent la sensation “d'avoir mangé”. Parfois la demande de nourriture est l'expression d'un besoin de réconfort, de présence, pas d'une réelle faim. Restez présent, parlez, rassurez. Si l'angoisse persiste alors le médecin peut adapter traitement.

Les perfusions de glucose ne pourraient-elles pas aider à maintenir l'énergie ?

Non, les perfusion de glucose en fin de vie sont peu efficaces et délétères. Le glucose perfusé n'est pas utilisé par cellules (le métabolisme est arrêté). Il s'accumule en créant des hyperglycémies, une surcharge liquidienne ou des œdèmes. La sensation d'énergie vient plus d'un bon état général que d'une perfusion de glucose. De plus, les perfusions maintiennent artificiellement la vie sans en améliorer sa qualité. Elles peuvent prolonger les derniers instants de vie dans un inconfort palpable. Les études le prouvent, sans perfusions le décès est plus paisibles et l'utilisation des médicaments est moindre.

 

À retenir : le confort avant la nutrition #

En fin de vie, l'alimentation et l'hydratation perdent leur fonction nutritive pour devenir avant tout des soins de confort et des vecteurs de lien affectif. La diminution progressive des apports constitue un processus naturel qui ne génère pas de souffrance lorsqu'il est accompagné avec humanité.

L'enjeu n'est plus de nourrir le corps, mais de nourrir la relation : par une présence aimante, des soins de bouche attentifs, le partage de micro-instants de plaisir gustatif lorsque c'est possible et souhaité. Accepter que notre proche n'ait plus besoin de manger constitue paradoxalement une des plus belles preuves d'amour que nous puissions lui offrir, celle du respect de son cheminement naturel vers la paix.

Les équipes de soins palliatifs sont là pour accompagner les familles dans cette épreuve, répondre aux questions, apaiser les inquiétudes, et guider vers un accompagnement digne et serein des derniers moments.

Références #

À propos des auteurs

Dr Eric MAEKER
Dr Eric MAEKER
Médecin Gériatre
Médecin gériatre et psychogériatre, spécialisé en soins palliatifs gériatriques. Fondateur et président de l'association Emp@thies dédiée à l'humanisation des soins. Membre des comités pédagogiques de l'Université Sorbonne. Auteur de publications scientifiques sur l'empathie médicale, les troubles neurocognitifs et la communication thérapeutique. Directeur de plus de vingt mémoires universitaires.

Bérengère MAEKER-POQUET
Bérengère MAEKER-POQUET
Infirmière Diplômée d'État
Infirmière diplômée d'État avec plus de quinze ans d'expérience hospitalière. Co-fondatrice et secrétaire de l'association Emp@thies. Co-auteure de publications scientifiques sur l'empathie médicale, l'annonce diagnostique et les soins centrés sur la personne. Formatrice en soins relationnels et accompagnement humaniste des personnes âgées.

 

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