Soins palliatifs : comment et quand les médecins décident de les proposer ? #

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“Les soins palliatifs ne sont pas une renonciation à soigner, mais un changement d'objectif : du 'guérir à tout prix' vers le 'prendre soin jusqu'au bout'.”
– Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP)

Que sont les soins palliatifs exactement ? #

Avant de comprendre comment les médecins décident de mettre en œuvre les soins palliatifs, il est essentiel de clarifier ce qu'ils sont réellement. Contrairement à une idée reçue tenace, les soins palliatifs ne signifient pas “abandonner” ou “laisser mourir”. Ils représentent au contraire une approche active et globale de soins, centrée sur la qualité de vie.

La définition officielle de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est claire : “Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquences d'une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision, ainsi que le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés.”

Cette définition souligne plusieurs points fondamentaux : les soins palliatifs concernent le patient comme sa famille, ils s'intéressent à toutes les dimensions de la souffrance (pas seulement physique), et surtout, ils doivent être mis en œuvre précocement, dès l'identification de la maladie grave.

Les soins palliatifs ne sont pas synonymes de fin de vie imminente #

C'est probablement la confusion la plus répandue et la plus dommageable. Beaucoup de personnes pensent que “soins palliatifs” signifie “il ne reste que quelques jours ou semaines à vivre”. Cette croyance retarde souvent l'accès à ces soins et prive les patients de bénéfices importants.

En réalité, les soins palliatifs peuvent s'étendre sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Ils peuvent débuter dès le diagnostic d'une maladie grave et incurable, tout en poursuivant parallèlement certains traitements visant à ralentir l'évolution de la maladie. Cette approche s'appelle les “soins palliatifs précoces” ou “soins palliatifs concomitants”.

Des études ont d'ailleurs montré que les patients atteints de cancer qui bénéficient de soins palliatifs précoces vivent en moyenne plus longtemps et avec une meilleure qualité de vie que ceux qui n'en bénéficient que tardivement.

Quels éléments guident la décision médicale ? #

La décision de mettre en œuvre des soins palliatifs repose sur plusieurs critères médicaux objectifs. Ces critères ne sont pas tous nécessairement présents simultanément, et leur appréciation nécessite l'expertise médicale.

Maladie grave évolutive menaçant le pronostic vital #

Le premier critère est l'existence d'une maladie grave, évolutive et incurable dans l'état actuel des connaissances médicales. Il peut s'agir d'un cancer avancé, d'une insuffisance d'organe sévère (cœur, poumons, reins, foie), d'une maladie neurodégénérative évoluée (Alzheimer ou apparentée, sclérose latérale amyotrophique, Parkinson évolué), d'une pathologie chronique à un stade avancé.

Le caractère “incurable” ne signifie pas qu'aucun traitement n'est possible, mais que ces traitements ne permettront pas de guérir la maladie. Ils peuvent ralentir son évolution, contrôler certains symptômes, tout en laissant la maladie continuer à progresser.

Pronostic vital engagé à court ou moyen terme #

Le médecin évalue le pronostic vital, c'est-à-dire l'espérance de vie probable. Cette évaluation reste très difficile et imprécise, car chaque personne/maladie évolue différemment. Il est souvent plutôt question de soins palliatifs lorsque le pronostic est engagé à moyen terme : quelques mois à quelques années, parfois moins.

Pour certaines maladies, des outils pronostiques existent (scores, critères cliniques) qui aident le médecin dans cette évaluation. Cependant, nos connaissance médicales nous invitent à rester humble : le pronostic reste une probabilité statistique, jamais une certitude individuelle.

Symptômes multiples, complexes et évolutifs #

La complexité symptomatique constitue un critère important. Les personnes nécessitant des soins palliatifs présentent souvent plusieurs symptômes difficiles à soulager : douleurs rebelles aux traitements classiques, essoufflement invalidant, fatigue extrême, nausées persistantes, perte d'appétit, troubles du sommeil, anxiété, dépression.

Ces symptômes interagissent entre eux (par exemple, la douleur aggrave l'anxiété qui elle-même augmente la perception de la douleur) et nécessitent une approche spécialisée coordonnée.

Limitations ou arrêt des traitements curatifs #

Lorsque les traitements visant à guérir ou contrôler la maladie deviennent inefficaces, trop toxiques, ou que le rapport bénéfice-risque devient défavorable, leur limitation ou leur arrêt peut être envisagé. Cette décision ne signifie pas “nous ne ferons plus rien pour vous”, elle signifie très exactement : “nous changeons d'objectifs en passant du curatif vers le palliatif”.

Cette transition peut être progressive. Certains traitements à visée curative peuvent être maintenus s'ils procurent du confort (par exemple, une chimiothérapie à dose réduite qui contrôle des douleurs liées à une tumeur), tandis que d'autres plus lourds sont arrêtés.

Besoin d'accompagnement global et pluridisciplinaire #

Les besoins des personnes dépassent le cadre médical strict et nécessitent une approche globale. Par exemple pour : la gestion des symptômes physiques, le soutien psychologique de la personne et sa famille, l'aide sociale (aides à domicile, adaptations du logement, questions financières), l'accompagnement spirituel ou existentiel selon les souhaits.

Cette complexité justifie l'intervention d'une équipe pluridisciplinaire spécialisée en soins palliatifs, composée de médecins, infirmiers, psychologues, assistants sociaux, et éventuellement kinésithérapeutes, ergothérapeutes, bénévoles d'accompagnement (entre autres).

Comment se déroule concrètement le processus de décision ? #

La décision de mettre en œuvre des soins palliatifs n'est jamais prise à la légère ni de manière unilatérale. Elle suit un processus codifié qui respecte à la fois les exigences médicales et les droits du patient.

L'évaluation médicale initiale #

Tout commence par une évaluation approfondie de la situation médicale par le médecin référent (oncologue, cardiologue, gériatre, médecin traitant, selon la pathologie). Cette évaluation comprend un bilan de l'évolution de la maladie et de la réponse aux traitements antérieurs, une évaluation des symptômes et de leur impact sur la qualité de vie, une estimation du pronostic ainsi qu'une appréciation des possibilités thérapeutiques restantes.

Le médecin peut s'appuyer sur des outils standardisés (échelles de performance, scores pronostiques) et aussi sur son expérience clinique et sa connaissance du patient.

La procédure collégiale obligatoire #

La loi française (loi Claeys-Leonetti de 2016) impose une procédure collégiale pour certaines décisions importantes en fin de vie, notamment la limitation ou l'arrêt de traitements. Cette procédure implique que le médecin en charge de la personne prenne l'avis motivé d'au moins un autre médecin (souvent un spécialiste de la pathologie ou des soins palliatifs), de l'équipe soignante (infirmières, aides-soignants), de la personne de confiance si elle a été désignée, et des directives anticipées si elles existent.

Cette collégialité garantit qu'aucune décision importante n'est prise de manière isolée et que plusieurs regards experts se sont portés sur la situation.

L'information et le consentement du patient #

La personne doit être informé de manière claire, loyale et appropriée sur sa situation médicale, l'évolution prévisible, les options thérapeutiques disponibles et leurs limites, et la proposition de soins palliatifs et ce qu'elle implique concrètement.

Cette annonce nécessite tact et humanité. Le médecin doit adapter son discours à la personne : certains souhaitent des informations très détaillées, d'autres préfèrent une approche plus progressive. Le rythme d'information respecte la capacité du patient à recevoir et intégrer ces informations difficiles.

Le consentement de la personne est recherché. S'il refuse les soins palliatifs ou certains aspects, ce refus doit être respecté (sauf si la décision met en danger la vie d'autrui, ce qui n'est pas le cas ici). Un temps de réflexion peut être proposé, ainsi que des entretiens répétés pour répondre aux questions et aux inquiétudes.

L'implication de la famille #

Avec l'accord de la personne, la famille est informée et impliquée dans la réflexion. Les proches peuvent aider la personne dans sa décision, poser des questions que le patient n'ose pas formuler, comprendre les enjeux pour mieux accompagner.

Si la personne n'est plus en capacité de s'exprimer, alors la personne de confiance (si elle a été désignée) ou la famille est consultée pour témoigner de ce qu'aurait souhaité le patient. Les directives anticipées, si elles existent, sont recherchées et prises en compte.

Comment s'organisent les soins palliatifs ? #

Les soins palliatifs ne sont pas un bloc monolithique. Il existe différents niveaux d'intervention, adaptés à la complexité de la situation et aux besoins du patient.

L'approche palliative en soins de premier recours #

Le premier niveau correspond à une approche palliative intégrée aux soins habituels, délivrée par le médecin traitant et les infirmières libérales au domicile, ou par l'équipe soignante en EHPAD ou à l'hôpital. Cette approche convient aux situations relativement simples où les symptômes sont contrôlables avec des traitements standards, entourage familial est présent et aidant et l'absence de problèmes psychosociaux majeurs permet un accompagnement adapté.

Le médecin traitant reste le coordinateur des soins. Il peut se faire aider par des réseaux de santé, des HAD (Hospitalisation à Domicile) pour certains soins techniques.

Les soins palliatifs spécialisés (équipes mobiles, HAD spécialisées) #

Le deuxième niveau intervient lorsque la situation devient plus complexe : symptômes difficiles à contrôler (douleurs rebelles, dyspnée importante, troubles psychologiques sévères), besoin de traitements spécialisés (pompes à morphine, sédation), situation psychosociale complexe (famille épuisée, conflits, isolement social), demande d'expertise pour des décisions difficiles.

Les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) se déplacent au domicile ou en institution pour évaluer la situation, conseiller l'équipe soignante sur les traitements, soutenir la personne et sa famille. Elles ne remplacent pas l'équipe habituelle, elles la renforcent par leur expertise.

Les équipes d'HAD spécialisées en soins palliatifs permettent de maintenir à domicile des patients nécessitant des soins techniques complexes, avec des passages quotidiens d'infirmières formées et un médecin coordinateur disponible.

Les unités de soins palliatifs (USP) #

Le troisième niveau correspond aux unités de soins palliatifs, services hospitaliers spécialisés qui accueillent les situations les plus complexes : symptômes réfractaires malgré les traitements optimisés, besoin de surveillance rapprochée, détresse psychologique ou sociale majeure, épuisement familial rendant le maintien à domicile impossible, besoin d'un répit temporaire pour la famille.

L'admission en USP peut être temporaire (quelques jours ou semaines pour stabiliser une situation critique, puis retour à domicile) ou jusqu'au décès si la complexité persiste. Les USP offrent un ratio soignant/patient élevé, une expertise spécialisée, et un environnement pensé pour le confort et l'accompagnement.

La personne peut-elle refuser les soins palliatifs ? #

Oui, absolument. Le principe d'autonomie et de consentement libre et éclairé s'applique pleinement aux soins palliatifs.

Les raisons du refus #

Plusieurs raisons peuvent expliquer un refus : la peur associée au terme “soins palliatifs” (assimilés à tort à une mort imminente), le souhait de poursuivre les traitements curatifs malgré leurs faibles chances de succès, le déni de la gravité de la situation, des convictions religieuses ou philosophiques particulières, ou simplement le besoin de temps pour accepter cette transition.

Le respect de la décision #

Si la personne refuse, après avoir reçu une information claire et complète, ce refus doit être respecté. L'équipe médicale ne peut imposer des soins palliatifs contre la volonté de la personne.

Cependant, le médecin a un devoir de persuasion raisonnée : il doit s'assurer que le refus est éclairé (la personne a-t-elle bien compris ce que sont les soins palliatifs ?), explorer les raisons du refus pour tenter d'y répondre, proposer une période d'essai ou une réévaluation ultérieure.

Le refus n'est jamais définitif : il toujours possible de changer d'avis, et l'équipe soignante reste disponible pour en reparler. En attendant, des soins de confort peuvent être proposés sous un autre nom, moins anxiogène.

Peut-on revenir en arrière après avoir commencé les soins palliatifs ? #

Cette question est importante car elle touche à la notion de réversibilité de la décision.

La réévaluation régulière #

Les soins palliatifs ne sont pas figés. La situation médicale, les symptômes, le pronostic, les souhaits de la personne peuvent évoluer. Une réévaluation régulière (hebdomadaire, mensuelle, selon l'évolution) permet d'adapter la prise en charge.

Si l'état médical se stabilise ou s'améliore de façon inattendue, si une nouvelle option thérapeutique devient disponible, si la personne exprime le souhait de reprendre un traitement plus actif, ces éléments sont pris en compte et discutés.

La notion de traitements concomitants #

Il est tout à fait possible de combiner soins palliatifs et certains traitements à visée non strictement curative : une chimiothérapie allégée pour contrôler une tumeur symptomatique, une radiothérapie antalgique, un traitement de l'insuffisance cardiaque.

L'opposition binaire “curatif OU palliatif” est dépassée. Il est aujourd'hui question de proportionnalité des soins : chaque traitement est évalué pour son bénéfice en termes de confort et de qualité de vie, indépendamment de son objectif initial.

 

Questions fréquentes

Comment savoir si mon proche a besoin de soins palliatifs ?

Plusieurs signaux peuvent alerter : hospitalisations répétées, symptômes difficiles à soulager malgré traitements, grande fatigue persistante, perte d'autonomie importante, médecin qui parle de “soins de confort”. N'hésitez pas à poser directement la question à l'équipe médicale. Des outils d'évaluation existent pour identifier ces besoins.

À partir de quel moment les soins palliatifs sont-ils proposés ?

Idéalement dès diagnostic maladie grave incurable, en parallèle traitements spécifiques. Réalité : souvent tardivement (dernières semaines) par méconnaissance concept. Études montrent : soins palliatifs précoces améliorent qualité vie ET prolongent survie (cancer poumon : +2,7 mois moyenne). Recommandations internationales : débuter dès pronostic <12 mois même si traitements actifs poursuivis.

Les soins palliatifs sont-ils réservés aux cancers ?

Non, toutes maladies graves incurables concernées : insuffisances d'organes (cœur, poumons, reins, foie stade terminal), maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, SLA avancés), BPCO sévère, cirrhose décompensée, SIDA stade avancé. Réalité France : 60% patients palliatifs = cancers, mais devrait être 50-50. Insuffisances organes sous-représentées car pronostic moins prévisible.

Qui décide finalement : le médecin, le patient ou la famille ?

Décision partagée idéalement. Médecin propose selon critères médicaux + procédure collégiale. Patient décide après information (autonomie), peut refuser. Si patient incapable s'exprimer : directives anticipées > personne confiance > famille consultée. Médecin garde responsabilité finale décisions médicales (peut refuser acharnement même si famille demande) mais doit respecter volonté patient.

Combien coûtent les soins palliatifs pour les familles ?

Prise charge quasi-totale Sécurité Sociale. Domicile : consultations médecin, soins infirmiers, HAD, médicaments 100% remboursés (ALD). Équipes mobiles : gratuites. USP : hospitalisation complète gratuite. Reste à charge possible : aménagements domicile (lit médicalisé, matelas anti-escarres) parfois remboursés sur prescription, aides à domicile au-delà plafonds. Aides financières existent (caisses retraite, mutuelles, associations).

Peut-on mourir à domicile avec des soins palliatifs ?

Oui, c'est même privilégié si souhaité par patient/famille et conditions réunies. Conditions : famille présente/aidants, logement adapté, médecin traitant impliqué, HAD ou équipe mobile disponible, pharmacie accessible (médicaments spécifiques). 25-30% décès France à domicile (vs 50-70% souhaits exprimés). Obstacles : peur familles, manque coordination, accès HAD inégal territoires. Accompagnement anticipé favorise réussite projet.

 

À retenir : une décision médicale partagée et évolutive #

La décision de mettre en œuvre des soins palliatifs résulte d'une évaluation médicale rigoureuse basée sur des critères objectifs, mais elle s'inscrit toujours dans un processus de décision partagée avec la personne et sa famille. Cette décision n'est ni brutale, ni définitive, ni synonyme d'abandon.

Les soins palliatifs représentent une continuation des soins sous une autre forme, centrée sur le confort, la qualité de vie et l'accompagnement global. Leur mise en œuvre précoce, dès que les critères sont réunis, permet d'offrir aux personnes et à leurs proches le meilleur accompagnement possible dans cette étape de vie.

Comprendre comment cette décision est prise aide les familles à mieux vivre cette transition, à poser les bonnes questions, à participer activement aux choix qui concernent leur proche. Le dialogue ouvert avec l'équipe soignante reste la clé d'un accompagnement serein et respectueux de la personne.

Références #

À propos des auteurs

Dr Eric MAEKER
Dr Eric MAEKER
Médecin Gériatre
Médecin gériatre et psychogériatre, spécialisé en soins palliatifs gériatriques. Fondateur et président de l'association Emp@thies dédiée à l'humanisation des soins. Membre des comités pédagogiques de l'Université Sorbonne. Auteur de publications scientifiques sur l'empathie médicale, les troubles neurocognitifs et la communication thérapeutique. Directeur de plus de vingt mémoires universitaires.

Bérengère MAEKER-POQUET
Bérengère MAEKER-POQUET
Infirmière Diplômée d'État
Infirmière diplômée d'État avec plus de quinze ans d'expérience hospitalière. Co-fondatrice et secrétaire de l'association Emp@thies. Co-auteure de publications scientifiques sur l'empathie médicale, l'annonce diagnostique et les soins centrés sur la personne. Formatrice en soins relationnels et accompagnement humaniste des personnes âgées.

 

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