Quand un proche dit vouloir mourir : 6 significations à comprendre #
Par Dr Éric Maeker, Bérengère Maeker-Poquet • Publié le • Mis à jour le
✅ 6 significations possibles : réponse à la souffrance, perte de soi, peur du processus de mort, désir de vivre autrement, besoin de contrôle, appel à l'aide
✅ Écouter sans juger est essentiel : ces mots sont une invitation au dialogue, pas une demande à satisfaire immédiatement
✅ Accompagner ne signifie pas approuver : comprendre ce que la personne exprime vraiment permet d'adapter les soins
✅ Les équipes de soins palliatifs sont formées pour explorer ces expressions et y répondre avec humanité
Anna, 55 ans, se rend au chevet de son père. Son visage crispé la projette dans son enfance. Ce souvenir à la montagne, quand elle avait juste 6 ans. C'était une longue promenade avec des montées et des descentes folles. Son cœur battait fort dans sa poitrine quand elle pédalait pour rattraper son père, bon marcheur. Dans les descentes, son vélo à moitié rouillé prenait le vent à toute vitesse. Elle riait.
Et puis, le chemin cabossé donna vie à son guidon. Il avançait vers le précipice, c'était un vrai rodéo.
Son père courait en hurlant derrière elle. Il se jeta au sol. La roue arrière du vélo en fit autant. Elle s'écrasa mollement dans l'herbe du bas-côté du chemin alors que son vélo fit le grand saut.
Elle se retourna vers son père. Son visage était exactement comme celui de ce matin, avec plus de rides et des cheveux blancs en pagaille.
Dans un profond silence hébété, une voix venue du fond du gouffre lui dit “Fais-moi mourir.”
Pourquoi ces mots nous bouleversent-ils tant ? #
Anna resta figée. Trois mots. Trois mots qui effaçaient cinquante ans de conversations, de disputes, de réconciliations, de “je t'aime” maladroits. Trois mots qui la renvoyaient à ce précipice de son enfance, sauf que cette fois, elle ne savait pas comment rattraper la roue arrière.
Entendre un proche gravement malade dire “je voudrais que ça s'arrête”, “laissez-moi partir” ou “je ne veux plus vivre comme ça” provoque ce même choc. Ces mots creusent un abîme d'angoisse sous nos pieds. Nous nous sentons démunis, parfois coupables, souvent terrifiés.
Pourtant, ces expressions sont fréquentes chez les personnes confrontées à une maladie grave ou en fin de vie. Les études en soins palliatifs montrent qu'elles touchent une proportion importante de personnes, particulièrement dans les phases avancées de leur maladie. Ce qui peut sembler être un souhait de mort exprime des réalités bien plus complexes et nuancées.
Comprendre ce qui se cache derrière ces mots permet de les accueillir sans panique, d'y répondre avec justesse, et d'accompagner véritablement la personne dans ce qu'elle traverse.
Ce que dit la recherche #
Une vaste synthèse de la littérature scientifique, analysant les témoignages de nombreuses personnes atteintes de maladies graves, a permis d'identifier six grandes significations derrière l'expression du souhait de mourir. Ces recherches montrent que ce souhait est le reflet d'une réaction à une détresse émotionnelle ou spirituelle intense, sans toujours vouloir dire le désir de mort.
Ces six significations, que nous allons explorer ensemble, peuvent coexister chez une même personne et évoluer dans le temps. Les reconnaître permet d'offrir un accompagnement adapté et véritablement humain.
Les 6 significations du souhait de mourir #
1. Une réponse à la souffrance globale #
Anna savait que son père souffrait. Depuis trois mois, le cancer rongeait son corps. Ses douleurs dans le dos l'empêchaient de dormir. Les nausées après chaque repas le faisait maigrir tout plus. L'essoufflement au moindre effort le clouait au lit. Elle pensait que les médicaments “géraient”. Elle n'avait pas mesuré à quel point la souffrance avait envahi chaque recoin de son existence.
Le souhait de mourir émerge presque toujours dans un contexte de souffrance intense, qui touche à la fois le corps, le psychisme et la dimension spirituelle de la personne. Cette souffrance englobe l'ensemble de l'existence.
La douleur mal contrôlée, l'épuisement permanent, les nausées, la difficulté à respirer constituent la partie visible de cette souffrance. S'y ajoutent l'anxiété face à l'avenir, la tristesse de voir son corps se dégrader, le sentiment d'avoir perdu tout ce qui donnait sens à la vie.
Dans ce contexte, dire “je veux mourir” exprime souvent : “cette situation est insupportable et j'ai besoin d'aide pour la traverser, mais mourir me semble être la seule solution”. C'est un appel à soulager cette souffrance totale, pas nécessairement une demande de mettre fin à sa vie.
2. La perte de soi #
Le père d'Anna était menuisier. Ses mains savaient transformer un bloc de chêne en table, en chaise, en coffret à bijoux. Anna conservait encore le petit cheval de bois qu'il lui avait sculpté pour ses huit ans. Ces mêmes mains tremblaient maintenant tellement qu'il ne pouvait plus tenir sa cuillère. C'était sa femme, puis l'aide-soignante, qui le nourrissaient.
La semaine dernière, il avait eu un accident. Les draps souillés. L'humiliation dans ses yeux quand l'infirmière était entrée. “Je suis devenu un bébé”, avait-il murmuré.
La maladie grave provoque une série de pertes qui ébranlent profondément l'identité de la personne. Ces pertes se manifestent à plusieurs niveaux.
La perte des capacités physiques touche les fonctions les plus intimes : ne plus pouvoir aller aux toilettes seul, dépendre des autres pour manger, se laver, se déplacer. Cette perte d'indépendance est souvent vécue comme une humiliation, une atteinte à ce que l'on était avant.
La perte de contrôle accompagne la dépendance. La personne sent qu'elle n'a plus prise sur sa vie, sur son corps, sur son avenir. Une personne exprimait ainsi ce sentiment : “Ce n'est pas tant la douleur, c'est la perte de contrôle et l'impuissance qui m'accablent.”
La perte du sens de sa dignité émerge quand la personne ne se reconnaît plus dans ce qu'elle est devenue. Elle craint le regard des autres sur son corps amaigri, sur sa dépendance, sur sa vulnérabilité. “Je ne veux pas que mes filles gardent de moi cette image d'une personne décharnée et qui n'est plus capable d'aller aux toilettes seul.”
La perte de sens survient quand les activités qui donnaient de la valeur à l'existence deviennent impossibles : travailler, créer, s'occuper des autres, partager des moments avec ses proches. “Personne n'a vraiment besoin de moi. Je ne sers plus à rien.”
Face à ces multiples pertes, le souhait de mourir peut exprimer : “je ne me reconnais plus dans ce que je suis devenu” ou “la personne que j'étais n'existe plus”.
3. La peur #
Anna se souvint d'une conversation, deux mois plus tôt. Son père lui avait parlé de sa propre mère, morte d'un cancer du pancréas en 1987. “Elle a hurlé pendant trois jours. Les médecins ne pouvaient rien faire. J'étais là. J'ai tout entendu.”
Il n'en avait jamais reparlé. Anna comprit soudain : son père ne parlait peut-être pas de maintenant. Il parlait de ce qu'il redoutait pour après.
La peur occupe une place centrale dans l'expression du souhait de mourir. Elle prend deux formes principales.
La peur du processus de fin de vie concerne ce qui va se passer avant la mort : la douleur qui pourrait devenir incontrôlable, la dégradation physique progressive, la perte totale d'autonomie, les complications médicales. “Ce sera terriblement difficile. Les complications vont arriver de partout. J'anticipe un avenir de souffrance intense.”
Cette peur est souvent nourrie par des expériences passées : avoir vu un proche mourir difficilement, avoir déjà traversé des épisodes de douleur intense, avoir entendu des récits effrayants. Une personne expliquait : “Si je devais revivre cet épisode d'étouffement, je préférerais me jeter sous un train plutôt que de subir ça à nouveau.”
La peur de la mort imminente concerne la confrontation avec sa propre finitude. Prendre conscience qu'il n'y a plus d'espoir de guérison, que la mort approche inexorablement, génère une angoisse profonde. “Plus beaucoup d'espoir, pas de miracle en vue… Les médecins ne peuvent rien quand les gens se détériorent et meurent…”
Dans ces deux cas, le souhait de mourir peut signifier : “j'ai tellement peur de ce qui m'attend que je préférerais que ce soit déjà fini”.
4. Le désir de vivre... Pas comme ça #
Le matin même, avant ces trois mots, le père d'Anna avait demandé à écouter du Brassens. Il avait souri — vraiment souri — quand “Les copains d'abord” avait commencé. Pendant trois minutes, son visage s'était détendu.
Puis la douleur était revenue. Et le sourire s'était éteint.
C'est peut-être la signification la plus paradoxale et la plus importante à comprendre : derrière de nombreuses expressions du souhait de mourir se cache en réalité un profond désir de vivre.
Les recherches montrent que la grande majorité des personnes qui expriment ce souhait continuent en même temps à accepter des traitements, à planifier des activités, à espérer des moments de bien-être. Une personne en soins palliatifs l'exprimait ainsi : “Vouloir vivre et ne pas pouvoir vivre ; vouloir mourir et ne pas pouvoir mourir.”
Cette apparente contradiction révèle que ce qui est rejeté n'est pas la vie elle-même, mais les conditions actuelles de cette vie : la douleur, la dépendance, l'isolement, la perte de sens. “J'aimerais tellement avoir 48 heures sans douleur. Juste un week-end où je pourrais profiter sans souffrir.”
Le souhait de mourir exprime alors : “je voudrais vivre autrement. Pas cette vie-là. Pas dans ces conditions. Cela m'est insupportable”. C'est un appel à améliorer la qualité de vie restante, plutôt qu'à y mettre fin.
5. Une façon de mettre fin à la souffrance #
“Fais-moi mourir.” Anna repassa ces mots en boucle. Peut-être que son père ne demandait pas la mort. Peut-être qu'il demandait la fin de cette chose qui n'était plus la vie.
Pour certaines personnes, le souhait de mourir apparaît comme la seule issue possible face à une souffrance qui semble sans fin. La mort n'est pas désirée pour elle-même, elle est comme un moyen d'échapper à ce qui est devenu intolérable.
“Je ne peux pas supporter le processus de fin de vie, alors je vais le court-circuiter en mourant.” Cette logique de fuite exprime un désespoir profond : quand tous les autres moyens de soulagement semblent avoir échoué, la mort apparaît comme la dernière solution.
Ce qui est exprimé ici n'est pas tant un attrait pour la mort qu'un rejet absolu de la situation actuelle. C'est une forme extrême du “désir de vivre mais pas comme ça” : puisque la vie dans ces conditions est impossible, la mort devient la seule alternative envisageable.
Cette signification est particulièrement importante à identifier car elle ouvre une porte : si la souffrance peut être soulagée par d'autres moyens, le souhait de mourir peut s'atténuer.
6. Garder un contrôle, "avoir un atout en réserve" #
Anna connaissait son père. Un homme qui avait toujours tout contrôlé. L'entreprise. La maison. Les vacances. Il avait même choisi la date de sa retraite avec deux ans d'avance. Et maintenant, il ne contrôlait plus rien. Ni son corps, ni son emploi du temps rythmé par les soins, ni même l'heure de ses repas.
Peut-être que dire “fais-moi mourir”, c'était sa façon de dire : “il me reste au moins ça. Ce choix-là. Personne ne peut me l'enlever.”
Et si le souhait de mourir était une façon de reprendre du contrôle sur une situation où tout semble nous échapper ? C'est comme garder un joker dans sa manche, une ultime carte à jouer si les choses devenaient vraiment insupportables.
De nombreuses personnes qui expriment ce souhait n'ont pas l'intention d'agir : elles stockent des médicaments “au cas où”, imaginent des scénarios de fin de vie qu'elles ne mettront jamais en œuvre. Ce qui compte n'est pas de passer à l'acte, mais de savoir qu'on pourrait le faire si nécessaire.
“Je ferai les choses à ma façon. Personne ne me fera changer d'avis. Ce qui sera, sera ; mais ce sera fait selon mes choix. Je garderai toujours le contrôle.” Cette affirmation de contrôle est souvent rassurante pour la personne : elle lui permet de mieux supporter le présent en sachant qu'elle a une issue de secours.
Les études montrent que les personnes qui ont ce sentiment de contrôle sur leur fin de vie rapportent une meilleure tolérance à la douleur et moins d'anxiété face à l'avenir. Le souhait de mourir fonctionnerait-il alors comme un mécanisme d'adaptation psychologique ?
Un appel à l'aide, plutôt qu'une demande à satisfaire #
Anna passa mentalement en revue ces six significations. La souffrance de son père, oui. La perte de tout ce qu'il était, oui. La peur de mourir comme sa mère, certainement. Le désir de vivre autrement, ce sourire pendant Brassens le prouvait. L'envie d'échapper à tout ça. Et ce besoin viscéral de contrôler quelque chose, n'importe quoi.
“Fais-moi mourir” n'était peut-être pas une demande. C'était un cri.
La synthèse de ces six significations révèle une réalité essentielle : le souhait de mourir est presque toujours un appel à l'aide, une façon de dire “je souffre et j'ai besoin que vous m'entendiez”.
Ces mots sont une invitation au dialogue, pas une demande à satisfaire immédiatement. Ils ouvrent une porte vers une conversation plus profonde sur ce que vit la personne, sur ses peurs, ses besoins, ses espoirs malgré tout.
Les recherches montrent qu'une fois entendues, accompagnées, soulagées dans leur souffrance, de nombreuses personnes voient leur souhait de mourir s'atténuer ou disparaître. Ce n'est pas la mort qu'elles demandaient, c'est une présence empathique, une écoute, un soulagement.
Comment accompagner un proche qui exprime ce souhait #
Face à ces mots difficiles, certaines attitudes peuvent aider à maintenir le lien et à comprendre ce qui est vraiment exprimé.
Écouter sans interrompre ni minimiser #
Le premier réflexe d'Anna fut de dire “Ne dis pas ça, Papa”. Elle se retint. Elle se souvint de ce qu'une amie infirmière lui avait dit un jour : “Quand tu fermes la porte aux mots difficiles, tu enfermes la personne avec sa souffrance.”
La première réponse est d'accueillir ces mots sans les rejeter. Évitez les phrases comme “ne dis pas ça”, “tu ne penses pas vraiment ce que tu dis” ou “il ne faut pas parler comme ça”. Ces réactions, même bienveillantes, ferment le dialogue et isolent la personne dans sa souffrance. Cela renforce son sentiment d'impuissance et de perte d'identité.
Préférez une écoute silencieuse, une présence attentive. Un simple “je t'écoute” ou “dis-moi ce que tu ressens” ouvre un espace où la personne peut s'exprimer.
Explorer ce qui se cache derrière les mots #
Anna prit une inspiration. “Papa… qu'est-ce qui est le plus dur, là, maintenant ?”
Un long silence. Puis : “J'ai peur de finir comme ta grand-mère. Et je ne veux pas que tu me voies comme ça.”
Ce n'était pas une demande de mort. C'était une terreur. Et un acte d'amour maladroit.
Sans mener un interrogatoire, vous pouvez doucement chercher à comprendre ce qui est vraiment exprimé. “Qu'est-ce qui est le plus difficile pour toi en ce moment ?” ou “Y a-t-il quelque chose qui t'aiderait ?” peuvent permettre d'identifier la source de la souffrance.
Est-ce la douleur physique ? La peur de l'avenir ? Le sentiment d'être un fardeau ? La perte d'autonomie ? Chaque réponse oriente vers un accompagnement différent.
Ne pas rester seul avec ces mots #
Le lendemain, Anna appela l'infirmière coordinatrice des soins palliatifs. Elle lui raconta. L'infirmière ne parut pas surprise. “C'est fréquent. Et c'est important que vous nous en parliez. On va réévaluer sa douleur, et la psychologue passera cette semaine.”
L'expression du souhait de mourir nécessite d'être partagée avec l'équipe soignante. Les professionnels de soins palliatifs sont formés pour explorer ces demandes et y répondre de façon adaptée.
N'hésitez pas à en parler au médecin, à l'infirmière, au psychologue de l'équipe. Ce n'est pas trahir la confidence de votre proche, c'est lui permettre d'accéder à un accompagnement approprié.
Maintenir le lien et la présence #
Ce soir-là, Anna retourna voir son père. Elle n'avait pas de solution. Elle n'avait pas de réponse à “fais-moi mourir”. Mais elle avait quelque chose d'autre.
Elle s'assit près de lui, prit sa main — cette main qui l'avait rattrapée au bord du précipice cinquante ans plus tôt — et dit simplement : “Je suis là, Papa. Je ne sais pas quoi faire, mais je suis là.”
Il serra ses doigts. Faiblement. Mais il les serra.
Quoi que la personne exprime, votre présence reste essentielle. Une main tenue, une écoute attentive, le partage de souvenirs heureux, la simple compagnie silencieuse : ces gestes simples rappellent à la personne qu'elle compte, qu'elle est aimée, qu'elle n'est pas seule.
Questions fréquentes
Mon proche dit vouloir mourir, dois-je en parler à l'équipe médicale ?
Oui, c'est même essentiel. L'expression d'un souhait de mourir est un signal important qui nécessite une évaluation par des professionnels. Ce n'est pas trahir une confidence, c'est protéger votre proche. Les équipes de soins palliatifs sont formées pour explorer ce que ces mots signifient vraiment et adapter l'accompagnement en conséquence. Ces paroles peuvent révéler une douleur mal soulagée, une anxiété intense, une dépression qu'on peut traiter, ou simplement un besoin d'être écouté. Il vaut toujours mieux en parler une fois de trop que de passer à côté d'un appel à l'aide.
Ces mots signifient-ils que mon proche veut vraiment mourir ?
Rarement. Les recherches montrent que le souhait de mourir peut avoir au moins six significations différentes : une réponse à la souffrance, le sentiment de perdre son identité, la peur de ce qui va arriver, le désir de vivre autrement, le besoin d'échapper à une situation insupportable, ou encore le besoin de garder un sentiment de contrôle. D'ailleurs, la plupart des personnes qui expriment ce souhait continuent d'accepter les soins, de planifier des activités et d'espérer des améliorations. Ces mots expriment une détresse émotionnelle intense, un appel à l'aide, mais pas nécessairement une volonté réelle de mourir.
Comment réagir sur le moment quand mon proche dit ça ?
Le plus important est d'écouter sans interrompre, sans minimiser et sans paniquer. Évitez les phrases du type “ne dis pas ça” ou “ça va aller”, qui ferment le dialogue. Préférez une présence silencieuse, une main tenue, un simple “je t'écoute”. Ensuite, vous pouvez doucement explorer ce qu'il ressent en demandant par exemple “qu'est-ce qui est le plus difficile pour toi en ce moment ?”. Ne cherchez pas de solution immédiate. Accueillez l'émotion. Et prévenez ensuite l'équipe soignante pour qu'elle puisse adapter l'accompagnement.
Est-ce que la dépression peut expliquer ces mots ?
Oui, la dépression est fréquente chez les personnes gravement malades, elle touche 20 à 40% des patients. Mais il faut distinguer le désespoir lié à la situation difficile de la dépression clinique, même si les deux peuvent coexister. Cette distinction est importante car la dépression se traite, et son traitement peut modifier significativement l'expression du souhait de mourir. Une évaluation par un psychiatre ou un psychologue est souvent recommandée pour faire la différence et proposer un traitement adapté si nécessaire.
Mon proche répète ce souhait malgré nos conversations, que faire ?
La persistance de ce souhait peut indiquer que la souffrance n'est pas suffisamment soulagée, qu'elle soit physique ou psychologique. Il est important de demander une réévaluation médicale : la douleur est-elle bien contrôlée ? L'anxiété est-elle traitée ? Un accompagnement psychologique est-il en place ? Parfois, le souhait de mourir persiste même avec des soins optimaux, et il fait alors partie du cheminement personnel de la personne face à sa fin de vie. Le rôle de la famille est alors d'accompagner sans juger, de maintenir le lien et d'être présent.
À retenir : des mots qui cachent souvent autre chose #
Trois semaines plus tard, la douleur du père d'Anna était mieux contrôlée. La psychologue était passée plusieurs fois. Il n'avait plus reparlé de mourir. Un après-midi, alors qu'Anna lui montrait des photos de ses petits-enfants sur son téléphone, il murmura : “Je voudrais voir leur spectacle de fin d'année. Tu crois que c'est possible ?”
Ce n'était plus “fais-moi mourir”. C'était “fais-moi vivre encore un peu”.
Le souhait de mourir exprimé par un proche gravement malade est rarement ce qu'il semble être au premier abord. Derrière ces mots bouleversants se cachent le plus souvent une souffrance qui déborde, une identité qui s'effrite, une peur qui submerge, un désir paradoxal de vivre autrement, un besoin de garder un semblant de contrôle, un appel à l'aide qui cherche une oreille attentive.
Comprendre ces significations multiples ne banalise pas ces expressions : elles restent le signal d'une détresse intense qui mérite toute notre attention. Mais cette compréhension permet de les accueillir sans panique, d'ouvrir un dialogue authentique, et d'accompagner véritablement la personne dans ce qu'elle traverse.
Les équipes de soins palliatifs sont là pour aider patients et familles à naviguer ces moments difficiles, à soulager la souffrance sous toutes ses formes, et à préserver ce qui donne sens et valeur à la vie jusqu'au bout. Car bien souvent, quand la souffrance est entendue et soulagée, le souhait de mourir laisse place à autre chose : le désir de vivre encore un peu, autrement, avec ceux qu'on aime.
Références #
- Monforte-Royo C, Villavicencio-Chávez C, Tomás-Sábado J, Mahtani-Chugani V, Balaguer A. What lies behind the wish to hasten death? A systematic review and meta-ethnography from the perspective of patients. PLoS One. 2012;7(5):e37117. doi: 10.1371/journal.pone.0037117. Epub 2012 May 14.
- Chochinov HM, Hack T, McClement S, Kristjanson L, Harlos M. Dignity in the terminally ill: a developing empirical model. Soc Sci Med. 2002 Feb;54(3):433-43. doi: 10.1016/s0277-9536(01)00084-3.
- Breitbart W, Rosenfeld B, Pessin H, Kaim M, Funesti-Esch J, Galietta M, et al. Depression, hopelessness, and desire for hastened death in terminally ill patients with cancer. JAMA. 2000 Dec 13;284(22):2907-11. doi: 10.1001/jama.284.22.2907.
- Clarke DM, Kissane DW. Demoralization: its phenomenology and importance. Aust N Z J Psychiatry. 2002 Dec;36(6):733-42. doi: 10.1046/j.1440-1614.2002.01086.x.
- Coyle N, Sculco L. Expressed desire for hastened death in seven patients living with advanced cancer: a phenomenologic inquiry. Oncol Nurs Forum. 2004 Jul 13;31(4):699-709. doi: 10.1188/04.ONF.699-709. Print 2004 Jul.

