Le refus de soin en gériatrie. Manuscrit accepté.
Auteurs et références
- Auteurs
- Dr Eric Maeker, Gériatre, Psychogériatre, France.
- Bérengère Poquet-Maeker, IDE, France.
- Affiliation : Association Emp@thies
- Correspondance : eric.maeker@gmail.com
- Contributions des auteurs : Les auteurs ont contribué à même hauteur au manuscrit.
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- Financements : Aucun
- Publication :
- Revue : Soins gérontologie, no 168 - juillet-août 2024, 28-31.
- Pubmed: [Refusal of care by the elderly]. Soins Gerontol. 2024 Jul-Aug;29(168):27-30. doi: 10.1016/j.sger.2024.04.009. Epub 2024 Jun 18.
[PMID: 38944470] [DOI: 10.1016/j.sger.2024.04.009] [ScienceDirect] .
Mots-clés
- Fr : refus de soin ; résistance aux soins ; maladies neurocognitives ; personne âgée
- En : refusals of care; resistance‐to‐care; neurocognitive diseases ; old adults
Résumé / Chapo
Fr
- Les refus de soins sont fréquents en gériatrie surtout chez les personnes atteintes d’une maladie neurocognitive, en particulier aux stades avancés.
- Ces refus de soins sont éprouvants au quotidien tant pour les personnes elles-mêmes que pour leurs soignants et leurs aidants.
- Bien qu'ils puissent être prévenus, l'absence de stratégie simple et unique pour les surmonter constitue un réel défi pour les professionnels et les aidants.
- Leur prise en charge justifie d'une approche pour l'essentiel non pharmacologique, toujours interdisciplinaire, humaniste et empreinte d'éthique.
En
- Refusal of care is a common occurrence in geriatrics, particularly among individuals suffering from neurocognitive disorders, especially in advanced stages.
- These refusals of care pose daily challenges for both the patients themselves and their caregivers and support workers.
- Although they can be anticipated, the lack of a simple and uniform strategy to overcome them presents a real challenge for professionals and caregivers.
- The management of these refusals warrants an approach that is primarily non-pharmacological, always interdisciplinary, humanistic, and ethically informed.
Introduction
- Le refus de soins désigne la situation où une personne choisit de s'opposer à recevoir certains soins proposés par les professionnels de santé. Il peut être question de l'examen physique, de soins d'hygiène, de traitements médicaux, d'actes chirurgicaux, de la prise de paramètres vitaux, de prélèvements, d'aides à domicile ou en structure gériatrique, ou de tout autre type d'intervention. Il peut être temporaire, fluctuant ou permanent et se distingue de l'arrêt des soins qui est une décision médicale [1]. En gériatrie, où les personnes sont souvent vulnérables et nécessitent des soins réguliers ou souffrent de troubles neurocognitifs, le refus est une situation fréquente, à très fréquente, d'origine multifactorielle.
- L'idée générale est de sortir de la notion de fatalité et de démontrer qu'il est possible d'agir sur le refus de soins, et ce, même très en amont. En effet, il semble intéressant de travailler des attitudes et des stratégies dont l'objectif est d'éviter l'installation des refus chez les personnes présentant des troubles neurocognitifs. Tout en gardant à l'esprit qu'en présence d'un refus de soin répétitif, malgré une approche adaptée, il est indispensable de questionner l'aspect éthique de la prise en soin et de considérer les refus comme le désir d'arrêt des traitements et des soins.
Situations cliniques
- Les trois situations cliniques qui suivent sont inspirées d'échanges sur des cas réels et fréquents en gériatrie.
- Un homme de 79 ans atteint de la maladie d'Alzheimer à un stade modéré est hospitalisé pour une infection urinaire. Lorsque l'infirmière lui présente ses médicaments, il les repousse avec violence. L'infirmière les reprend et essaie de négocier, seulement l'échange devient vite tendu et le ton menaçant. Plusieurs jours passent avec des refus itératifs et fluctuants. Plus tard, quand l'infection est maîtrisée, l'équipe apprend que Mr croyait être empoisonné par ses traitements.
- Une femme de 82 ans avec des antécédents d'accident vasculaire cérébral responsables de séquelles motrices et d’une aphasie fait preuve d'une réticence croissante à l'heure de faire sa toilette. Les soins d'hygiène matinaux deviennent un temps de conflit. Ses refus compromettent son hygiène et son confort quotidien. Pourtant, grâce à l'utilisation d'une tablette graphique, cette dame parvient à exprimer à la psychologue sa peur d'être maltraitée et de chuter du lit pendant les soins. Elle garde le souvenir douloureux d'une intervention où elle s'était sentie brusquée lors d'un soin matinal et était tombée du lit.
- Un homme de 86 ans, bon vivant de son jeune temps, commence à délaisser ses repas. Il perd du poids et semble indifférent à la nourriture. Il dénigre régulièrement les plateaux-repas insipides. Ses régimes diabétique et sans sel combinés rendent ses aliments fades. Sans aucune saveur, il n'en tire aucun plaisir. L'équipe est perplexe devant l'aggravation de son état de dénutrition, car aucun diagnostic précis n'explique ce changement et des escarres apparaissent.
- Ces situations de refus de soin, de traitement ou d'accompagnement, ici simplifiées, sont très diverses. Ces trois histoires cliniques soulignent d'emblée la nécessité d'une approche individualisée, empathique et centrée sur la personne dans les soins gériatriques, comme ils disent l'importance d'une formation spécialisée pour les professionnels de la santé.
Contextes et aspects légaux
Contextes
- Dans la réflexion médicale et éthique, le contexte pèse lourd. À titre d'exemple, en psychiatrie, les soins peuvent être contraints, au contraire de tout autre lieu de soin (réanimation, chirurgie, oncologie, court séjour gériatrique, EHPAD, USLD, unité de soins palliatifs, milieu carcéral, etc.). Par ailleurs, même s'il est question des refus de soins exprimés par la personne âgée soignée, il est important de distinguer d'autres situations. Il convient, par exemple, de bien déterminer qui refuse quoi, car les refus peuvent aussi être exprimés par les aidants, les médecins ou les établissements eux-mêmes.
Aspects légaux
- La loi du 4 mars 2002 et l'article L1111-4 du Code de la Santé Publique [2] précisent le droit de toute personne, y compris celles placées sous tutelle, de refuser un traitement ou un examen médical. Bien que les équipes médicales soient tenues de prendre acte et de notifier ces refus, elles ont également la responsabilité de s'engager dans un processus de compréhension approfondie des raisons sous-jacentes à ces décisions. Car, la notion est plus floue lorsqu'il existe des troubles neurocognitifs évolués. Dans ces situations, seule une démarche exhaustive d'analyse bio-médico-sociale et éthique permettra d'avancer dans la prise en considération juste et adaptée des refus de soin.
- D'après l'article 223-6 du Code Pénal [3], la notion de non-assistance à personne en danger ne s'applique que dans des situations d'urgence vitale. Elle stipule l'obligation d'intervenir ou de porter secours à une personne en danger immédiat.
- Aucune loi ne mentionne le refus des aides (à domicile par exemple). Toutefois, lorsqu'une personne vulnérable est en situation de danger, il peut s'avérer nécessaire de signaler le cas aux services juridiques.
Épidémiologie et facteurs de risque
- La prévalence du refus de soin en gériatrie varie considérablement en fonction des cadres cliniques et des populations. Des études épidémiologiques révèlent que le refus de soin est plus fréquent chez les personnes âgées souffrant de maladies neurocognitives, de troubles psychiatriques, ou lorsqu'elles sont confrontées à des traitements lourds et prolongés. Cette variabilité souligne l'importance de la notion de contexte déjà mentionnée.
- Par ailleurs, il existe une corrélation entre le refus de soin et certains facteurs sociodémographiques. Ces facteurs regroupent des éléments individuels (état médical, cognitif, fonctionnel), relationnels, environnementaux, socioculturels et dépendants du système de soin lui-même (difficulté d'accès aux soins, perception de la qualité des interventions des professionnels). Les plus étudiés sont résumés dans le tableau 1 [4,5,6,7,8].
Présentation clinique et modalités d'évaluation
Manifestations cliniques
- Le refus de soin chez les personnes âgées se caractérise par une diversité de manifestations implicites ou explicites. Elles sont très variables et dépendent des facteurs intrinsèques (comme une antériorité de ce type de comportement, la sévérité de l'atteinte cognitive ou l'existence d'une anosognosie) et extrinsèques (comme la qualité de la relation avec les soignants ou les aidants ou encore le contexte dans lequel survient le refus de soins).
Échelle et modalités d'évaluation
- L'échelle Resistiveness To Care (RTC) [9,10,11] se compose de 13 items pour aider à objectiver les attitudes de refus de soins en présence d'une maladie neurocognitive (voir tableau 2). Il est possible d'affiner l'évaluation en détaillant : la variabilité des symptômes, pour chaque type de comportement de résistance, sa fréquence, sa durée, son intensité, sa cohérence, son aspect actif ou passif et son niveau de gravité. L'analyse de ce dernier item s'appuie sur la compréhension fine des conséquences à la fois pour la personne soignée, l'équipe soignante et les proches aidants. Cet ensemble d'information est reproductible de sorte qu'il facilite l'évaluation initiale ainsi que le suivi du refus de soins. Une simple grille de surveillance horaire, journalier ou hebdomadaire peut s'avérer ici très utile.
- L’évaluation peut être complétée par les échelles et tests (non spécifiques) suivants : NPI, BEHAVE-AD, CMAI, Cornell, MMS, 5 mots de Dubois, Test de l'horloge, CAM, GAI, Échelle d'intentionnalité suicidaire de Beck, Pallia10-Géronto, Algoplus, Doloplus, ECPA [12].
Gestion du refus de soins
- Bien qu'il n'existe aucune preuve que les comportements de refus en gériatrie peuvent être complètement éliminés, l'application de certaines interventions et stratégies contribue à les réduire.
Une vigilance éthique indispensable
- Il est capital de distinguer le refus de soins de deux concepts clés. D'une part, la normalisation des milieux de soins, et d'autre part, la décision d'arrêt de traitement dans le cadre d’une approche palliative.
- La normalisation des milieux de soins fait référence à leur tendance à ignorer ou minimiser les besoins spécifiques et l'identité individuelle des personnes âgées. Elle risque de conduire à une réification qui va, elle, plus loin en réduisant les personnes âgées à de simples objets de soins, au mépris de leur dignité, de leur singularité ou de leurs droits. Le problème central devient alors la déshumanisation des milieux de soins plutôt que le refus de soin.
- La décision d'arrêt de traitement peut être prise dans le contexte de maladies en phase terminale, de balance bénéfices/risques défavorable ou de la volonté des personnes à privilégier le confort en fin de vie au lieu d'interventions médicales agressives. Cette démarche éthique requiert une réflexion collégiale et une communication ouverte entre toutes les parties impliquées. De ce point de vue le refus réitéré constitue un élément décisionnel fort [13].
La stratégie de prise en charge du refus de soins
- La stratégie générale est celle de la prise en charge des troubles psycho-comportementaux lors des maladies neurocognitives et cherche à définir les meilleures options thérapeutiques personnalisées et humanistes. La stratégie comporte différentes actions.
- S'assurer d'une connaissance la plus précise possible de la personne âgée (son histoire de vie, ses appétences, ses désirs, ses directives anticipées, etc.) dans le but d'approcher un sens aux différents comportements.
- Pratiquer une évaluation gériatrique multidimensionnelle et mettre en œuvre une stratégie individualisée grâce à la méthode DICE (décrire, investiguer, co-créer une stratégie de prise en soin, évaluer) [14].
- Éliminer des causes organiques ou psychiques accessibles à un diagnostic et un traitement spécifique comme un épisode confusionnel aigu, une dépression, une pathologie neurocognitive, des douleurs (quelle qu'en soit l'origine), des troubles psychotiques, des troubles sensoriels, etc.
- Réaliser une revue des thérapeutiques en cours, certaines sont potentiellement iatrogènes, d'autres manquent peut-être à la prescription ou leur voie d'administration est inadaptée. S'appuyer sur les critères Start/Stopp2, Beers, etc.
- Définir des objectifs réalistes comme : diminution du nombre de refus ou travail sur l'acceptation des soins d'hygiène plutôt que de viser le “zéro refus”. S'aider d'une grille journalière ou hebdomadaire et de l'analyse fine des conséquences des refus de soins.
- Évoquer la situation lors d'une réunion interdisciplinaire et questionner l'aspect palliatif des refus répétés.
- Intégrer les proches aidants aux démarches et aux soins afin de les accompagner dans l'élaboration d'une dynamique vertueuse. Autrement dit, définir une approche des refus de soins qui évite l'épuisement et limite les comportements qui risquent d'intensifier l'opposition.
Traitements pharmacologiques
- Aucun traitement médicamenteux n'a d'indication pour le refus de soin. Toutefois, les thérapeutiques visant à réduire les problématiques spécifiques retrouvées lors de l'évaluation multidimensionnelle peuvent être mises en œuvre (agitation, délires et hallucinations, douleurs, dépression, etc.). Par ailleurs, un traitement antalgique d'épreuve peut se justifier.
Approches non pharmacologiques
- Les soins centrés sur la personne représentent le “gold standard” en termes d'accompagnement au quotidien même en cas de maladie neurocognitive sévère [15].
- La stabilité de l'équipe soignante, non compromise par une forte rotation du personnel, contribue à l'harmonisation des pratiques et à l'établissement d'une routine rassurante. Deux fondamentaux en présence de refus de soins.
- La diffusion de musique, le chant par les intervenants et l'utilisation d'instruments de musique au son apaisant (comme les tongue-drums) réduisent les comportements de refus. Ces interventions sont peu coûteuses et faciles d'accès.
- Des méthodes alternatives de bain (bain avec serviette, douche centrée sur la personne, bain thermal) ont été analysées. Elles diminuent les refus comparées au bain traditionnel en baignoire.
- Les approches centrées sur les capacités de personnes ou sur la formation des soignants [4] semblent moins efficientes sur la problématique du refus, tout comme l'aromathérapie et les techniques de présence simulée. Toutefois, leur impact sur l'agitation, l'anxiété et les comportements perturbateurs est positif. Ils sont donc à prendre en considération.
- Enfin, les éléments clés en présence de refus de soins ou de traitement sont résumés dans la figure 1 [18].
Impacts du refus de soin
- Le refus de soin par les personnes âgées a autant un impact sur leur propre santé, que sur le bien-être des aidants et des soignants. Les professionnels peuvent se sentir frustrés, découragés, voire submergés par des émotions négatives ou une surcharge de travail lorsqu'ils sont confrontés à des refus répétés ou à des comportements hostiles. Dans l'ensemble, le refus de soin expose à une augmentation du temps et de l'énergie à déployer au quotidien. Les dilemmes éthiques que rencontrent les équipes comprennent les situations où l'équilibre entre respect de l'autonomie et la nécessité de prodiguer les soins entrent en conflit ou lorsque l'approche palliative s'annonce. À l'extrême, le refus de soin majore le risque de maltraitance.
Conclusion
- Les situations de refus de soin sont très diverses. Elles partagent l'idée que l'approche gériatrique la plus pertinente reste celle qui est interdisciplinaire, centrée sur la personne, compréhensive et humaniste. Elles soulignent l'importance d'une communication efficace et de la prise en compte de la douleur, ainsi que des troubles cognitifs, dépressifs et psychotiques.
Tableaux et figures
Tableau 1 - Facteurs associés au refus de soin en gériatrie
Facteurs de risque (par ordre d'importance) |
---|
Troubles délirants |
Dépression (et idées suicidaires) |
Troubles neurocognitifs |
Épisode confusionnel aigu |
Agitation (évaluée par le CMAI) |
Douleur sévère à horrible |
Troubles de la communication |
Troubles fonctionnels (ou altération de l'ADL) |
Troubles visuels |
Hallucinations |
Facteurs protecteurs (par ordre d'importance) |
Soins centrés sur la personne (en particulier pour les soins d'hygiène) |
Adaptation de la communication orale (limitation de l’elderspeak) |
Prise en charge de la douleur |
Adaptation de l’environnement |
Anticipation des directives anticipées |
Tableau 2 - L'échelle Resistiveness To Care
Garder la bouche fermée ou résister aux mouvements |
Se détourner, éviter le contact |
Pousser ou tirer le soignant ou l'aidant |
Repousser, s'opposer, posture de défense |
Éloignement corporel, fuite, opposition ferme au contact |
Saisir une personne |
Saisir un objet |
Crier ou hurler |
Pleurer, sangloter |
Proférer des menaces verbales, intimidations, gestes menaçants |
Frapper ou donner des coups |
Refuser oralement, dire “non” |
Repli sur soi, se recroqueviller, se mettre en boule |
Figure 1 - Éléments clés en présence d'un refus de soins
- Figure 1 - Éléments clés en présence d'un refus de soins
- Légende: Moyen mnémotechnique : COEURS pour Communication, Objectifs, Empathie et flexibilité, Utilisation du temps, Réassurance et routine, Sécurisation et soutien.
Exergues
- La connaissance de la personne est le cœur de la stratégie thérapeutique en cas de refus de soins [18].
Références
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Livre II : Des crimes et délits contre les personnes (Articles 211-1 à 227-33). Chapitre III : De la mise en danger de la personne (Articles 223-1 à 223-21) du Code Pénal Lien
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Retrouvez sur notre site internet (https://maeker.fr/egs) une grande partie des outils d'évaluation avec leur bibliographie.
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Maeker E, Maeker-Poquet B. L’empathie en gériatrie, utilité et faisabilité ? Revue de Gériatrie 2020 Sept;45(7):401-5.
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